21 mai 2003   -   Table Ronde :


l’autorité au quotidien



 - G. Crozat, diacre et professeur d’anglais au collège St Dominique de Tarbes

 - Mme Baudrimont et M .Vergès, éducateurs spécialisés, travaillant dans un centre de rééducation d’enfants posant des problèmes de comportement  

 - M. Michel Vice-Procureur de la République

 - M. Pourailly, Directeur Départemental de la Sécurité Publique

 - M. Cirès, chef d’entreprise à Lourdes, a été ouvrier, artisan, a employé jusqu’ à 60 personnes.


Deux questions avaient été soumises aux intervenants : 

1/ Quelle est leur expérience de l’autorité à travers leur pratique professionnelle ?

2/ Cette expérience les amène-t-elle à constater une évolution dans l’exercice de l’autorité.

La table ronde était animée par J.P. Bernié, de l’équipe du Narthex.

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Gérard Crozat :

Je suis professeur dans un tout petit établissement, et cela n’est pas négligeable. 

Mais deux petites anecdotes très brèves : une erreur, sur une première version de l’affiche de la soirée, indiquait : Gérard Crozat, Vice-Procureur de la République. Je n’étais pas déçu, loin de là. Et quand j’en ai parlé à des amis, tout le monde m’a louangé et félicité en me faisait bien remarquer que c’était une promotion sociale, ce qui montrait bien que le professeur était en bas.

La seconde, vue à la télévision Lundi soir, François Léotard présentait une de ses amies et a dit : « C’est une femme extraordinaire, elle a réussi dans sa vie, elle est chef d’entreprise, elle a maintenant plusieurs personnes sous ses ordres, et elle a commencé… ». Je m’attendis au pire : qu’elle sortait de prison, « elle a commencé comme petit prof ». Je l’ai regardée avec admiration en voyant qu’elle en était sortie, elle. Nous, on nous menace de nous y laisser encore plus longtemps, mais c’est un autre problème. 

Il y a donc eu un changement du statut de l’enseignant. Si à une certaine époque, il a pu représenter celui qui détenait le savoir, qui avait une place, une influence. L’instituteur dans un village faisait partie des notables, était un sage que l’on pouvait consulter. Il n’en est pas de même aujourd’hui, loin de là. 

Autre chose : tout le monde est passé par l’école. C’est incontournable. On peut éviter la justice, mais pas l’école. Le problème est que tout le monde a donc une opinion dessus, mais est-elle bonne ? En définitive, au lieu de donner une opinion sur l’école d’aujourd’hui, chacun ne fait que redire l’expérience qu’il en a eue à un moment donné de son histoire de jeune, d’enfant. Et cette idée-là revient, et on attend du prof de 2003 qu’il soit le prof que nous avons connu ou aimé ou craint il y a 20, 30 ou 40 ans. La définition que l’on a de l’autorité de l’enseignant ou l’attente que l’on a à ce sujet, c’est l’autorité que l’on a connue, presqu’une autorité nostalgique plus qu’une réalité et un comportement actuels  par rapport à des faits et un changement de société. Chacun a ces souvenirs-là. Les professeurs que j’ai eu lorsque j’étais élève au Lycée Théophile Gautier, les relation de respect et d’admiration étaient sincères et ont demeuré. Lors de ma première suppléance au Lycée Théophile Gautier, je n’ai pas osé entrer dans la salle des profs ! Le saint des saints, qui donnait sur la cour d’honneur… Maintenant, ça va, ça vient, ce qui ne veut pas di re que cela se dégrade, mais que le monde change, et il faut le prendre en compte.

Les parents sont donc dans ce hiatus entre ce qu’on attend d’un prof, qu’il soit celui qu’il a toujours été, celui qui a de l’autorité, qui se fait respecter, où il n’y a pas de cris, qui ne dialogue pas, qui punit, mais en même temps, pas mon fils ou ma fille. Je pense à un collègue de techno qui un jour avait collé un élève de 5ème et qui a reçu une lettre des parents : « Monsieur, si vous n’êtes pas capable d’avoir de l’autorité et de vous faire respecter, il n’y a aucune raison que mon fils ou ma fille soit collé(e). Donc, il ne viendra pas à la colle ». Forcément, cela n’allait pas l’aider dans son autorité. De mon temps, si un élève avait été collé, arrivé chez lui, il n’aurait pas été très fier. 

Donc, la relation du prof par rapport au élèves et à la société a complètement changé. Je me souviens d’un autre conflit. Le parent a dit au professeur, j’attire votre attention sur la formule : « Je vous ferai comparaître devant ma fille ».

Certains parents, comme l’enfant est un peu roi, je pense à un prof qui m’a vraiment donné la vocation de l’anglais à Théo, professeur agrégé parti ensuite à la Fac de Pau, donc quelqu’un qui était plus que respectable, un jour je rencontre une dame qui le connaissait : « Vous savez, mon fils, en 6ème, me l’a dit : ce monsieur, il est vraiment bon en anglais ». C’était très clair.

Le deuxième ou troisième changement, c’est que l’école était autrefois une institution qui délivrait un savoir qui était immédiatement utile. On apprenait les éléments essentiels, comme les départements pour passer le concours qui permettait d’être facteur, et de réussir. L’enseignant donnait des connaissances immédiatement exploitables. On est passés à un autre type d’école, une école qui doit, pour reprendre le slogan de Chevènement lorsqu’il était ministre de l’Education Nationale dans les années 80, « apprendre à apprendre » , ou aider l’élève à apprendre à apprendre, pour se débrouiller, et je me souviens de stages de formation où on nous disait : « Vos élèves changeront 5 fois de métier dans leur vie, et sur les 5, il y en a 3 que l’on ne connaît pas encore ». Il est important de penser à cela quand on veut comprendre comment un prof peut avoir encore de l’influence.

Je passerai très vite sur les difficultés que nous avons avec les parents, sur celles que nous valent les difficultés sociales des élèves. On a quand même de plus en plus d’élèves qui ont des problèmes, des soucis. Ils y en avait sûrement avant, mais ils étaient soutenus socialement ou familialement, ce qui n’est plus tout à fait le cas. J’ai eu il y a quelques années des élèves de Seconde qui étaient en déprime parce qu’ils avaient eu des relations sexuelles non protégées et qui étaient angoissés en attendant le résultat de tests médicaux. Il est évident que moi et mes verbes irréguliers à côté, je ne pesais pas lourd. Je ne l’ai su qu’après.

Ce la joue un rôle dans la question de l’autorité. Si je veux avoir de l’autorité sur ma classe, je dois avant tout savoir qui j’ai en face. Pas tout savoir sur eux, je ne suis ni un psychiatre ni un psychologue, mais je dois quand même savoir que la discipline que je dois enseigner –parce qu’après tout, c’est cela l’essentiel pour moi-, je dois l’enseigner à des jeunes, et je dois savoir qui est mon interlocuteur pour déterminer comment je dois m’adresser à lui. On sait bien que les jeunes ont aujourd’hui des expériences qui sont souvent malheureuses. Nous sommes coincés, et l’autorité en subit l’influence, par toute une série de paramètres à prendre en compte : l’élève, avec ce qu’il est –jusqu’à présent, il était au centre du système éducatif, et cela mériterait un débat-, le parent qui rêve ou fantasme : « Mon fils passera en S, Monsieur, parce que dans la famille, on est tous passés en S ». « Je n’admets pas, Madame, que vous fassiez redoubler ma fille, je n’admets pas que ma fille soit jugée par quelqu’un qui a trois mois de vacances », ce qui est faux du reste…

On est aussi coincés par un autre paramètre, à savoir les consignes pédagogiques : les programmes, qu’il faut tout de même faire fonctionner –et puis par une société qui va exiger des pourcentages de réussite : on juge nos établissements sur les résultats au bacc, et ce n’est pas toujours équitable. Je veux bien qu’on juge une usine qui fabrique des voitures en la comparant à une autre usine qui fabrique des voitures, le matériau est le même dans les deux cas. Le matériau que nous avons dans le système scolaire n’a rien de fiable ! Et l’on est entrain de nous juger sur une production alors que nous n’avons pas les mêmes matériaux. Et on rentre dans ce jeu, sans voir qui on amène vers le baccalauréat, comment on les y amène, avec quelle patience, peut-être de temps à autre en avalant quelques couleuvres, en ne faisant plus preuve d’autorité, mais en cherchant simplement à convaincre.

Et je me demande si ce n’est pas cela, ma définition de l’autorité : non pas faire du terrorisme (j’avais une collègue qui me disait n’avoir aucun problème dans sa classe, alors que dans l’heure elle avait distribué 18 heures de colle) ; enlever la grenade et l’avion ne sera pas détourné : c’est la grenade, et non le terroriste, qui a de l’autorité.

Il s’agit de chercher à convaincre, c’est-à-dire de faire autorité, d’inspirer le respect. C’est ce que j’essaie de faire dans ma classe, avec des coups de gueule parfois, pas souvent, une fois par trimestre… Les collègues me disent, quand je pousse mon cri trimestriel, qu’ils n’osent pas sortir dans le couloir. Cela me fait beaucoup de bien, et puis c’est fini, et l’heure suivante, les élèves viennent me voir : « Monsieur, hier, méconnaissable… C’était bien ». Et puis c’est fini, parce qu’il y a aussi une confiance. Cela signifie que mon autorité, ne pourra être vraie que dans la mesure où je respecte moi-même les consignes que je vais donner aux élèves. Je ne peux pas exiger que les élèves me rendent les copies dans les temps si moi-même je ne les rends pas corrigées dans les temps. Mon principe, c’est de rendre les copies l’heure qui suit, ils sont encore dans le bain. J’ai rarement des copies qui arrivent en retard : l’autorité passe par le respect, le respect des élèves. Pour ma part, je vouvoie les élèves, y compris de 6ème : ma crédibilité va passer par ce comportement. 


Mme BAUDRIMONT et M. VERGES

Nous travaillons dans un Établissement pour Enfants présentant des troubles de la conduite et du comportement, au service Internat et D.B. est de plus au service de soins à domicile.

En partant de notre pratique et expérience professionnelle nous allons tenter de vous exposer ce qui sert de trame quotidienne, sur le problème de l'Autorité, à nos rapports avec les Enfants (de 5 à 12 ans) dont nous nous occupons.

Nous allons donc brièvement vous présenter les options de travail que nous avons élaboré collectivement à propos de l'autorité, pour les enfants que nous avons en charge.

Petit contexte théorique

Qu'est ce que l'autorité ?

Notre expérience et notre pratique professionnelle nous ont amené à adopter consensuelle ment la définition d'HANNAH ARENDT: « L'autorité est ce par quoi on obtient une obéissance volontaire sans avoir à donner d'explications, sans discussion et sans contrainte physique ». Cette définition est en quelque sorte un « négatif » puisque l'Autorité y est définie par ce qu'elle n'est pas et laisse indéfini ce qui fait que l'on ‑obéit ou pas. Là où on utilise la « force » : l'autorité a échoué. Là où on doit argumenter pour convaincre, de même. L'Autorité est donc une relation entre 2 individus, et non un état de fait Ce qui veut dire que, comme toute relation, elle commence par une reconnaissance réciproque des 2 protagonistes «qui SUIS‑je et qu'est ce que fais là ? », et: « qui es‑tu et fais‑tu ? ».

Comment arrive‑t‑on à ce processus ?

Selon Michel LEMAY ce processus se met en place dès les premiers mois de la vie, de façon parfaitement naturelle peut‑on dire: Tout parent est soucieux de préserver son enfant de désagréments divers et variés : ex. toucher la cuisinière brûlante, éloigner le couteau qui coupe etc. Dans ce but la maman va fermement prononcer un « NON » catégorique (et dont il est souhaitable qu'il soit ferme et définitif en égard à la cohérence de sa finalité) qui sera éventuellement renforcé d'une petite tape sur la main, en cas de récidives multiples. Bref, pour l'Enfant il semble qu'il y ait très rapidement conscience d'un « défendu » qui déplait aux parents. Dans une première phase il arrête son mouvement à cause d'une défense purement extérieure à soi. Pourtant dès le 7eme ou 8eme mois, l’enfant s'interdit manifestement des actions alors que la mère n'intervient pas directement. Une sorte de « veilleur »fidèle est donc installé au sein de l'enfant. Il indique l'approche de situations ou de comportements qui peuvent avoir pour conséquence la perte de l'affection maternelle ou, en récompense, l'amour de la mère.

C'est comme s'il y avait à côté du petit être une présence douée du pouvoir redoutable de retirer ou de donner l'affection en fonction de situations déterminées. Ces défenses sont très puissantes car elles menaçent l'enfant dans son intégrité même ; et elles sont d'autre part toujours ressenties comme des agressions. Elles sont pourtant dérisoires sur un autre plan, car le petit être peut désobéir chaque fois que personne ne regarde ou chaque fois que la situation change.

Il découle de ceci que cet apprentissage de l'autorité est le produit d'une confrontation. Néanmoins, si la force n'est pas l'instrument de l'Autorité (cf : plus haut‑ « Là où on utilise la « force » : l'autorité a échoué. »), elle en a toujours été le recours ultime : sanctions etc. D'autre part, il est patent que lAutorité s'inscrit dans une relation à l'Autre (cf : plus haut « C'est comme s'il y avait à côté du petit être une présence douée du pouvoir redoutable de retirer ou de donner l'affection en fonction de situations déterminées. »), mais un « Autre multiforme » puisque représenté par une succession morcelée d'individus, fonctions etc (Ex. l'Instituteur, le Gendarme, le Patron, le Juge etc, etc) qui sont rencontrés ici ou là, selon les circonstances de la vie et qui n'ont de « pouvoir » que pour un domaine d'action déterminé. Nous retrouverons cette confrontation ultérieurement dans tous les problèmes ou toutes les difficultés éducatives ayant trait au rapport à la règle ou à la loi.

L’autorité dans notre pratique professionnelle

Notre difficulté est de nous trouver confronté à cette absence de structuration précoce de l'enfant avec son entourage.

Nous allons brièvement tenter d'illustrer ceci à travers quelques situations que nous avons rencontré professionnellement.

Illustration de la découverte des règles et limites : le cas du petit Daniel.

Daniel a 5 1/2 ans quand il nous est adressé. Sa mère le décrit comme insupportable, un petit tyran qui la harcèle sans cesse. Il se présente d'emblée comme ne connaissant pas la limite: il fait ce qu'il veut, quand il veut et ne tient jamais compte des consignes et autres règlements si ce n'est pour les enfreindre. Ses petits copains ne doivent pas non plus contrarier ses envies du moment. La moindre contrariété se transforme en combat: « il fait frais, prends un pull » peut le mettre très en colère, si on insiste devant son refus. Il refuse, se roule par terre, crie, insulte très grossièrement l'adulte, va souvent jusqu'à la menace physique et aux coups portés. Le problème devient aigu lorsque ce genre d'évènement se reproduit toute la j ournée, à raison d'une dizaine de fois par jour et tous les jours. Toute son énergie est consacrée à refuser, à dire non. Dans ce contexte, aucun apprentissage scolaire ou socio‑éducatif ne peut se faire. En cherchant à comprendre ce qui le poussait à agir ainsi nous avons mis en avant: ‑il n'a pas connu la phase du « non », ‑les affrontements à l'adulte, en l'occurrence sa mère, le rendent « maître de la situation ». Sa mère ne le voit plus comme un agresseur dont elle doit se défendre. ‑non acquisition des repères. Ce que nous avons mis en place: 

‑lui donner le règlement et la loi ‑le lui répéter autant de fois que nécessaire ‑lui pointer la moindre transgression de sa part ‑le stopper s'il poursuit (ne jamais laisser tomber) ‑le punir enfin s'il persiste dans son refus de se plier à la règle D. a très mal accepté cette autorité nouvelle pour lui et disait: « C'est pas toi ma mère, t'as pas le droit de me commander, je fais ce que je veux, » Nous répondions inlassablement: « Je ne suis pas ta mère, tu dois obéir à la même règle que tout le monde, tu ne peux pas faire ce que tu veux. » L'épisode du lit par exemple: Nous ‑« Daniel, tu as mouillé ton lit, il faut changer les draps et refaire le lit. Si tu veux je peux t'aider. » Lui‑« Je le ferai pas. D'abord c'est pas mon lit. »Nous‑« Le lit ne t'appartient pas, mais si tu veux dormir dedans ce soir il faut mettre les draps. » Lui‑«Je veux pas. Puisque c'est çà, je ferme la porte, je veux plus te voir. » Nous‑« Tu devras quand même faire ton lit. » D, finira par ouvrir la porte, au bout de dix minutes de cris dans sa chambre. Lui‑« Bon, je t'aide à faire ton lit. » Nous : « Non, c'est nous qui allons t'aider à faire ton lit, si tu nous le demande poliment. » Le s'il te plait à été un peu dur à digérer pour D., mais nous n'avons cédé sur rien, Après quelques mois ce garçon fait maintenant spontanément son lit, avec ou sans aide. Nous sommes arrivés à la phase où il est félicité pour le rangement de sa chambre. Il expérimente en ce moment le plaisir d'être congratulé : çà non plus il ne connaissait pas et ce n'est pas forcément pour lui la chose la plus facile à intégrer !

Illustration de la structuration de la relation à 1'Autorité : le cas du jeune Michel.

M. avait été admis dans notre Etablissement pour des difficultés importantes de comportement qui s'exprimaient entre autre par des accès de violence clastique importante qui rendaient son intégration sociale extrêmement difficile.

Dans le cadre du travail a effectuer avec lui nous savions que la première étape serait de nous faire reconnaîÎtre dans notre fonction d'Educateur et de définir les places et rôles respectifs de l'Enfant et de l'Adulte.

Donc quelques temps après son arrivée M. refuse de souscrire à une des tâches qui sont prévues dans le fonctionnement de l'Internat (le petit ménage individuel du matin) dont il s'était acquitté sans problèmes particuliers depuis son arrivée. Ce refus s'accompagne de manifestations verbales (cris, insultes). M. refuse toute proposition de dialogue et « fait monter la crise », c'est‑à‑dire qu'il manifeste clairement son intention de prendre la main et de se positionner hors les règles et hors les repères relationnels ordinaires entre Enfant et Adulte. Les manifestations passent à la phase supérieures : coups de pieds dans les meubles etc, c'està‑dire que nous nous trouvons confrontés à actes de violence importants, et M. décide de quitter la pièce. Nous nous plaçons devant le seuil de la porte, afin de symboliser la limite que nous posons. M. passe aux menaces et nous lui signifions que celles‑ci ne sont pas admises, de même que les actes qu'il suggère sont interdits sous peine de sanction immédiate. Les cris et coups dans les meubles continueront quelques minutes, mais M. ne poussera pas la confrontation jusqu'à l'affrontement physique (seul les objets seront « agressés »).

Après le retour au calme, nous exprimons clairement à M. notre satisfaction de le voir revenir à un comportement plus conforme et nous lui rappelons que les règles' qui lui sont aujourd'hui et par nous signifiées, sont également valables ultérieurement et avec tous les autres Adultes qui seront de service auprès de lui.

Dans les semaines qui vont suivre, M. recherchera la confrontation avec d'autres Adultes de l'encadrement des Enfants, mais les manifestations de violences seront moins importante, l'enjeu du problème: « qu'elles sont mes limites et est‑ce qu'il y a consensus ? » qui sou tend le comportement de M. se traduira de plus en plus par des « explosions » symboliques plus que par des affrontements pur et dur. Bref le lien relationnel se tissera et les repères relationnels classiques entre Enfant et Adulte de découvriront ou redécouvriront. Voici un exemple qui me parait illustrer ce que nous vous avons exposé de la découverte et l'expérimentation de ce lien relationnel entre un individu qui reconnaît à un autre; une préséance quelconque et qui identifie sa subordination.

Les points d’appui de notre démarche sur le plan de l’autorité

Notre expérience et notre pratique professionnelle nous ont amené à dégager quelques principes, que nous partageons, pour l'utilisation d'une Autorité bien comprise, auprès des Enfants.

‑ Ne pas demander quelque chose dont on ne se donne pas les moyens de vérifier que cela sera fait (y compris en disant que l'on est conscient que l'on peut nous abuser). ‑ Ne pas demander quelque chose dont on n'est pas persuadé d'y voir une finalité authentique pour le sujet. (Dire « merci » est un vrai passeport pour des relations ultérieures harmonieuses). ‑ Si notre option éducative est pertinente, savoir en être convaincu pour la faire partager. ‑ Dans un collectif, appliquer les valeurs consensuellement développées (chacun ne fait pas sa petite règle chacun de son côté), même si chacun symbolise la règle selon ses affinités. ‑ Dans une situation de Groupe une remarque faîte à A sert aussi à étayer B et C dans leur dynamique d'intégration des règles. ‑ Nous travaillons à présenter une cohérence des attitudes éducatives, faces aux Enfants, de l'ensemble des membres de notre Équipe de travail. Cette cohérence ne veut pas dire que nous nous comportons tous de la même manière. Ce que nous avons de commun c'est nos options ou valeurs sur tel ou tel problème de l'Education.


Monsieur Michel, Vice-Procureur de Tarbes

En bref, pour situer mon intervention, en France il existe un corps unique de magistrats, où l’on distingue les magistrats qui jugent, et qu’on appelle les magistrats du siège, et ceux du parquet, ceux qui poursuivent. La particularité du système français par rapport aux autres systèmes européens, c’est ce corps unique qui fait que l’on peut passer du parquet au siège ou du siège au parquet. Le rôle du procureur de la République est varié puisqu’il a des pouvoirs en matière civile, en matière commerciale et bien sûr ceux dont on parle le plus, en matière pénale, puisqu’il lui appartient de faire diligenter des enquêtes lorsqu’il y a des plaintes, et de poursuivre les auteurs qui ont été identifiés. Le procureur n’est pas le représentant du gouvernement, comme certains le pensent,  même chez nos étudiants de 3ème ou 4ème année qui font encore cette grave confusion, c’est le représentant de la société. Il est là, devant les tribunaux, pour représenter la société, la victime quand celle-ci n’a pas d’avocat présent, il s’en fait le défenseur. Il requiert des peines au nom de la société, et devant tous les tribunaux, que ce soit en matière contraventionnelle, en matière correctionnelle ou en matière d’assisse.

Parler d’autorité nous renvoie naturellement à la question du pouvoir. Les magistrats en France détiennent cette autorité parle pouvoir que la Constitution  leur octroie : le pouvoir de décider, trancher, juger, requérir, poursuivre, mettre à exécution ou suspendre une décision de justice, de classer sans suite, c’est ce que l’on appelle l’opportunité des poursuite, quand le procureur estime que les faits sont insuffisamment caractérisés.

Cette autorité est une autorité légitime, prévue par les textes, encadrée. Le procureur dispose d’une puissance encadrée, il y a toujours une possibilité de recours, et les avocats sont justement là pour mettre en œuvre tous ces moyens.

Cette autorité s’exerce à travers toutes ces missions, qui sont multiples, elle s’exerce à travers les personnels des tribunaux et à travers les enquêteurs, membres des services de police ou des douanes.

Les deux constats que je voudrais faire, c’est que j’ai 20 ans de métier, cette autorité je ne l’exerce pas comme je l’exerçais il y a 20 ans. Il y a une crise de l’autorité, on ne l’impose plus, et de plus en plus, on ne commande pas comme ça, même s’il y a des textes en support ; on explique, on démontre, on fait comprendre. En agissant de la sorte, on arrive souvent à de meilleurs résultats et à une bonne ambiance. L’autorité est exercée d’une autre manière avec le temps, et il en va de même dans les familles. 

L’autorité avec un grand A est en crise mais en ce qui concerne l’autorité judiciaire, elle est encore respectée. Il y a une tradition séculaire des tribunaux, le décorum, les habits, etc. Mais quand un délinquant arrive dans mon bureau, alors que les services de police ou de gendarmerie m’indiquent que cette personne avait une attitude parfaitement désagréable envers leurs services , par rapport à l’autorité judiciaire il y a encore une certaine crainte. 


Monsieur Pourailly, Directeur Départemental de la Sécurité Publique des Hautes-Pyrénées.

Autour de cette table, il y a des maillons complémentaires, sauf un seul : les parents. Et il y en a deux dont il vaudrait mieux pouvoir se passer. Mais les parents sont souvent, à notre grand désappointement, l’élément défaillant. 

Je suis commissaire divisionnaire, c’est mon grade. Ma fonction est de diriger la police dans ce département, pour l’agglomération Tarbaise et Lourdes.

Le choix de vos thèmes et l’indice d’une attention à la mutation profonde de la société. Des situations particulièrement délicates se produisent sous nos yeux. L’autorité, on l’a vu dans les interventions précédentes, peut se décliner de manières diverses selon la position de chacun. Je pense que si un policier a été aujourd’hui invité, c’est pour parler de la force publique, et vous verrez que parfois, je me trouverai en contradiction, mais très peu, avec ce qui a pu être dit jusque là. 

Par ailleurs, en tant que directeur départemental, j’ai une double casquette. En tant que chef d’un service qui comporte 300 personnes, aujourd’hui, comme le rappelait M. Michel, on ne dirige plus un service comme il y a 30 ou 40 ans, par la force des baïonnettes, il ne suffit pas d’avoir la légitimité, et de se présenter comme chef de service, pour s’imposer. Aujourd’hui, il y a peut-être un peu de charisme, mais beaucoup de dialogue, de concertation, d’explication, si on veut que les décisions que l’ont est amené à prendre soient appliquées, et bien appliquées.

Donc, effectivement, il y a une façon d’exercer l’autorité en tant que chef de service, qui a fondamentalement évolué.

En tant que policier tout simplement, représentant l’autorité publique, les choses sont peut-être un peu différentes. Certes, il y a un devoir d’explication, et c’est au fil des années quelque chose que l’on voit évoluer de façon de plus en plus prégnante, on parle de prévention, y compris pour un service de police, on parle de dialogue, d’intervention en milieu scolaire, on le fait dans des écoles primaires, des collèges et des lycées, on s’associe énormément et de plus en plus, au point que cela nous pose des problèmes d’organisation, à des actions à caractère préventif. Au quotidien, quand on interpelle des gens qui ne respectent pas un stationnement, qui n’ont pas la ceinture, on essaie également de faire de la pédagogie. Parfois, ce n’est pas suffisant, et on est amenés à verbaliser. 

Tout à l’heure, le professeur d’anglais a indiqué, dans une formule qui m’a paru très intéressante, « pour un enseignant, mettre 18 h de colle en une heure, ce n’est pas de l’autorité, c’est du terrorisme ». J’ai apprécié cette formule. Pour autant, pour un fonctionnaire de police, aujourd’hui, réprimer sans faille les infractions au code de la route, ce n’est pas du terrorisme, la grenade que nous avons, ce sont des timbres-amendes, ce sont des procès verbaux, ce n’est pas du terrorisme, c’est une œuvre salvatrice. Pourquoi ?

Certains estimeront peut-être le contraire, mais les chiffres nous donnent raison. Depuis que nous verbalisons à outrance sur le plan national, nous sommes sur le point de sauver 1500 vies cette année. Ce n’est quand même pas mal. Cela vaut le coup de verbaliser ! Tant pis pour ceux qui sont verbalisés ! Cette forme de pression sur les contrevenants a quand même un caractère salvateur.

La force publique nous renvoie à une notion qui est celle de l’Etat, « forme d’organisation sociale qui garantit contre les périls extérieurs et intérieurs sa propre sécurité et celle de ses ressortissants. Il dispose à cet effet de la force armée et de multiples mécanismes de coercition et de répression. » C’est une définition de Jacques Donnedieu de Vabre, un universitaire. Il ajoute : « Il n’y a pas d’Etat sans degré élevé de cohésion sociale et d’organisation hiérarchique, permettant au pouvoir de faire rayonner son autorité et de faire exécuter ses décisions ». On a là le fondement de l’autorité publique. Bien entendu, cette définition paraît recevable dans un Etat démocratique, ce qui heureusement notre cas. Le corollaire de tout ceci est l’existence d’outils permettant à l’Etat d’exercer son pouvoir, et il y a notamment la police, que je représente ici. Comment trouve-t-on trace à l’origine de la police et de la gendarmerie ? Eh bien, et cela va en surprendre probablement plus d’un, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui est l’élément fondateur de la police. Dans son article 12, elle indique la chose suivante : « La garantie des droits de l’homme nécessite une force publique. Cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée. Cette Déclaration est inscrite dans le préambule de notre Constitution. La police est là pour garantir les libertés, c’est pour cela qu’elle a été conçue et créée.

Un fois qu’on a vu d’où venait l‘autorité publique et comment elle s’exprimait, avec quels outils, comment s’exerce-t-elle et quel en est le contrôle ? L’autorité publique est contrôlée par l’autorité judiciaire, dans le cadre qui est celui de la loi, défini par la représentation nationale. Il y a aussi au fil du temps, une éthique et un code de déontologie façonné, de manière récente pour la police puisqu’il existe depuis 1986. Tout cela détermine les modalités d’action de la police. C’est une sorte de garde-fou très important qui balise l’action de l’autorité publique. Et il y a le contrôle hiérarchique, bien évidemment.

Dans l’exercice au quotidien, parce que le policier est le représentant de l’autorité publique, il a un devoir d’exemplarité. Ce n’est pas simple : dans le mesure où le policier l’est 24 h sur 24, surtout dans de petites agglomérations comme celle-ci, on finit toujours par savoir rapidement y compris dans la vie privée que Untel est policier, le policier n’a pas droit à un écart, quel qu’il soit. Si un écart est commis, cela se sait rapidement et se retourne contre lui. Surtout si cet écart est réprimé par la loi. Donc, il y a une sorte de vigilance permanente à vivre pour le policier, au regard de sa fonction, y compris lorsqu’il ne travaille pas. Cela suppose qu’il soit parfaitement préparé à l’exercice de son métier, et qu’il accepte d’être soumis au contrôle du juge et de l’autorité hiérarchique. 

Quelles sont les difficultés que nous rencontrons dans l’exercice de l’autorité ? Je vais faire un simple diagnostic sur ce que l’on observe dans l’exercice quotidien de notre métier, sans porter de jugement sur les causes de la crise de cette société. 

D’abord, aujourd’hui encore, l’autorité est associée à la contrainte. On l’a bien perçu tout à l’heure à travers certains propos. Elle est perçue comme s’accompagnant de restrictions et d’interdictions. Or encore aujourd’hui, il semble impopulaire d’interdire et de contraindre. Même lorsque cela est imposé par la loi, qui émane de la volonté populaire. Ne pense-t-on pas plus facilement aux droits que nous revendiquons qu’aux devoir que nous sommes censés accomplir ? Ainsi, le représentant de l’autorité publique peut parfois apparaître comme un véritable empêcheur de tourner en rond. On le voit, et cela nous fait rire nous-mêmes,  parfois brocardé, ridiculisé dans certains films, présenté ici comme ripou, là comme alcoolique, mais en tout cas non respecté. La police est ainsi confronté à ce type de difficulté, qui n’est pas dû à une perte d’autorité, mais à mon sens plutôt à une perte de sens de l’autorité, dans une société comme la nôtre. Or, c’est à cela que nous sommes tous confrontés aujourd’hui, et c’est pour cela que nous nous investissons dans la communication, dans le dialogue, l’un des enjeux actuels auxquels nous sommes confrontés est peut-être de réapprendre l’importance de ce pilier qu’est l’autorité publique dans une organisation démocratique comme la nôtre. 

On entend qu’il existe ici ou là un déficit d’autorité, de la part des pouvoirs publics, de la part des parents, de la part des enseignants. Ce que nous observons, c’est que certains parents ont une incapacité à exercer leur autorité, ce qui fait que nous sommes confrontés à une délinquance juvénile assez inquiétante, y compris dans notre petit département : des situations où nous nous substituons quasiment, ponctuellement, pas dans la durée, à l’autorité parentale. On intervient dans des familles, on essaie de faire pratiquement l’éducation des enfants, sur un ou deux heures ou  sur une semaine, et nous signalons également ces cas aux autorités judiciaires et aux services sociaux. Nous essayons donc d’introduire de l’autorité là où il n’y en a plus. Le déficit d’autorité de certains parents est d’ailleurs pris en compte par la loi, il peut être réprimé.

Un dernier point : je voulais simplement conclure sur une dernière observation. Ce que l’on observe, sans faire de lien de cause à effet, c’est qu’il y a certains déficits d’autorité et des difficultés pour nous aujourd’hui à exercer notre métier, même ici, et cette difficulté croit à mesure que le sens civique se délite. On ne peut manquer de faire un lien entre ce manque de reconnaissance de l’autorité publique, et cette perte.


Monsieur Jo Cirès, chef d’entreprise.

On m’a demandé d’intervenir à un double titre, d’abord comme ancien employé, ce que je n’ai pas vécu très longtemps puisque je suis devenu artisan à 22 ans, après 29 mois de service militaire en Algérie. J’ai travaillé à la fois dans l’hôtellerie et dans le bâtiment. Je crois que je craignais mes employeurs au sens où je voulais qu’ils soient satisfaits du travail que je réalisais. SI d’aventure il arrivait que l’on me fasse une remarque, j’en étais très malheureux. Je me souviens que mes camarades de travail m’avaient missionné pour présenter à notre patron une revendication collective. Je me souviens que j’étais à la fois fier d’avoir été choisi mais en même temps soucieux d’être le plus juste possible avec l’employeur, qui devait avoir ses problèmes lui aussi. Cette affaire s’était très bien conclue. J’avais été pressenti pour passer chef d’équipe et le patron m’avait à la bonne, même si ma démarche l’avait surpris. Celui qui avait autorité sur le chantier, c’est celui qui savait, ouvrier ou chef. Je fréquentais cette autorité assidûment, elle apportait la connaissance au jeune ouvrier que j’étais, et dont j’étais avide. L’autre autorité, celle qu détenait le pouvoir, je la respectais, mais elle ne m’intéressait pas beaucoup. L’autorité de l’entreprise pour moi, c’était celle de l’ouvrier hautement qualifié, le chef d’équipe ou le chef de chantier. C’était l’autorité immédiate, celle qui savait. Dans l’hôtellerie, la restauration, j’ai eu les mêmes attentes et les mêmes comportements avec les chefs de rang ou le maître d’hôtel. Une relation avec la hiérarchie et l’autorité directe a toujours été constructive. Je crois que j’aimais le travail.

En tant qu’employeur, mon tempérament fait que je n’aime pas commander. Je n’ai jamais aimé commander. Par contre, j’aime argumenter, convaincre, fédérer les intelligences et les énergies, dans tous les secteurs de mon activité humaine, ce qui peut rendre peut-être mon témoignage singulier. 

Bien vite, donc bien jeune, j’ai eu du personnel. J’ai eu un effectif se situant entre 50 et 60 employés. Dès lors, il me fallait bien commander, en faisant preuve d’autorité pour être entendu, et faire adhérer à mes choix et à mes décisions. Si dans l’esprit on trouve des différences entre autorité et pouvoir, dans le quotidien de ma vie de chef d’entreprise, l’ambiguïté de cette nuance est très active, sans pour autant abuser de mon pouvoir discrétionnaire que me conférait ma position de chef d’entreprise.

Quelle ou plutôt quelles sont ces autorités qui se présentent à moi comme chef d’entreprise au quotidien ? J’en vois au moins cinq :l’autorité économique, l’autorité sociale, l’autorité technique, l’autorité de droit divin (péjorativement le patron, à qui tout ou presque est permis), et l’autorité morale. 

L’autorité économique, de laquelle dépend l’évolution des plans de carrière, les augmentations de salaire, l’extension ou la réduction de l’activité. Elle peut être fragile et remise en question. Elle peut changer de camp . En période d’expansion économique, les plans de charge font apparaître avec acuité les besoins de main d’œuvre qualifiée. Le personnel le sent bien et en profite pour imposer ses exigences en termes de salaire mais aussi de qualification et de classification. Il me faut alors composer, et chercher des compromis, toujours au delà des conventions de la profession. En période de récession économique, il en va tout autrement. C’est l’apaisement social, la docilité. Sans vouloir parler de concorde, chacun rentre dans le rang. L’autorité économique reprend pleinement ses droits. L’insécurité, l’instabilité de l’emploi planent et inquiètent. Je détiens alors un pouvoir redoutable qui conforte mon autorité. 

Deuxième, l’autorité sociale. Elle va bien souvent de pair avec l’économique. Le temps de travail, l’organisation du travail, les équipements de protection, la sécurité, étaient de la volonté du chef d’entreprise. L’embauche également avec le choix du statut qui l’accompagne. Le pouvoir d’en décider donne bien  évidemment une autorité certaine qui est respectée. Là, c’est le pouvoir qui donne de l’autorité.

Troisième autorité, l’autorité technique. Elle est de loin celle qui rassemble le mieux les intelligences, où chacun prend ses repères par rapport à l’autre, où la vérité des limites de chacun éclate au grand jour. C’est là que s’expriment les véritables rapports de force au travail –où se règlent en fait les classifications véritables où naissent et grandissent les autorités individuelles. L’autorité ira de soi dans une relation professionnelle avec un ouvrier peu qualifié. Elle devra en quelque sorte se justifier chaque fois avec un ouvrier qualifié ou un chef par une argumentation technique d’un ordre donné ou par une participation à la décision à prendre. Mon souci est d’être toujours à la pointe de la technique, sur qui les autres chercheront leur appui, pour conforter leur position technique. Je crois que l’autorité technique est bien là. C’est la connaissance, la compétence, qui donne l’autorité. Elle ne se discute pas, elle s’impose d’elle-même dans le respect de chacun. Les meilleurs ouvriers que j’aie eux en 45 ans d’entreprise m’ont toujours respecté comme je les ai respectés, mais ils étaient aussi respectés par leurs camarades. J’ai parfois entendu dire sur un chantier par des gars parlant d’un patron : « Parce qu’il est patron, il croit tout savoir ». Ou : « Il se croit tout permis ». Ou d’un chef : « Il ne sait pas commander, il fait faire n’importe quoi ». Curieusement, c’est sur des questions d’ordre technique que les ouvriers sont les plus sévères. N’est-ce pas là que se construit l’identité de chacun ? Son autorité ?

Quatrième autorité, l’autorité de droit divin, le patron. Expression très péjorative. Quand on dit : « C’est le patron qui l’a dit », « C’est le patron qui l’a décidé », on a presque tout dit, c’est parole d’Evangile. Il n’y a pas à discuter, il n’y a qu’à exécuter. La ficelle paraît une peu grosse, je sais, mais enfin, c’est bien comme cela que les choses se passent encore. Dans les PME, les mentalités n’ont pas encore évolué autant qu’on pourrait le croire. Quand je parlas de l’autorité technique et de la qualité des relations avec le personnel, j’aurais dû dire qu’on sentait bien malgré tout une certaine déférence dans l’échange, car on s’adressait au patron. Les choses ont heureusement évolué, mais pas tant que cela. J’ai toujours eu le souci de la communication, du dialogue te de l’échange. Peut-être aussi, comme je le disais au début, parce que je n’aime pas commander. Ceci m’a conduit à organiser dans l’entreprise, avec mes 50 employés, il y a environ trente ans, un stage de formation sur le thème : « La communication dans l’entreprise. Le rôle et la place de l’entreprise et le rôle de chacun ». Mon but non avoué était de responsabiliser chacun, de les mettre debout et de les amener en situation de demandeur. J’avais été trop vite en besogne, et le personnel n’était pas prêt à cette conversion de mentalité, à revisiter la nature de leur statut social. Même si l’expérience vécue par tous a été riche. Le problème était avant tout culturel : je restais le patron.

Cinquième autorité : l’autorité morale. Elle découle naturellement des quatre autres. Elle les couronne, elle en est l’éthique. Elle les transcende. Prendre en compte l’avis des gars, demander leur point de vue, sur l’organisation matérielle du chantier, sa préparation technique, les méthodes à retenir, permettre une autre adhésion, une implication au chantier, être co-responsable. Loin d’enlever ou d’affaiblir l’autorité, je crois au contraire que cela lui donne une autre dimension, en la purifiant et en la vivifiant par l’écoute, l’apport et la richesse des gars. Ce qui nous ramène vers des valeurs d’humanisme vécues au quotidien, où chacun peut prendre sa part. Je crois qu’on peut passer alors de l’expression : « Il est autoritaire » à : « Il a de l’autorité », ou « Il fait autorité », ou « Il parle avec autorité ».Un autorité qui s’impose, qui fédère, qui rassure, qui mobilise et qui dynamise.

Qu’en est-il aujourd’hui ? L’évolution de la législation du travail et des lois sociales ont quelque peut modifié les comportements et les mentalités des employeurs et des employés. Mais il a là encore des blocages qui sont des problèmes culturels. Ils demanderont encore du temps. Un penseur disait : « La révolution sociale sera intérieure à l’homme, ou elle ne sera pas. » C’est valable pour toute la société. Sur l’autorité économique, sociale et de droit divin surtout, la revendication est plus spontanée et directe. On n’y va pas par quatre chemins, on connaît ses droits. Il faut davantage informer, expliquer avant toute décision. Les gars entendent qu’on tienne compte d’eux, de leur avis, ils vivent mal qu’on les mette face au fait accompli. Ils existent, et leur dignité aussi, ce qui fait qu’aujourd’hui, on est plus chef d’entreprise que patron. Et c’est tant mieux. Quand on me propose par exemple un chantier un peu loin, j’en discute avec les gars pour mettre au jour les problèmes que cela soulève et chercher des solutions possibles pour tous. Et éventuellement, on n’accepte pas le chantier, sauf bien évidemment, si c’est vital pour l’entreprise. On veille aux protections individuelles te collectives. S’il y a un oubli ou un manquement, il est signalé. Autrefois, personne n’osait faire de remarque. Pourtant, un chef avait fait un stage sur la sécurité des chantiers…


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