INNOVATIONS POUR LE BIEN COMMUN
Table ronde du 30 novembre 2018
Intervention de
Sophie Villard
agronome
Bonsoir à tous.
Je vais vous parler d'une expérience assez différente, qui se passe pas très loin de Lourdes, entre Tarbes - Ibos - Fontrailles. J'ai créé un bureau d'études il y a quelques années pour travailler sur le développement de la méthanisation agricole.
Qu'est-ce-que la méthanisation agricole ? L'idée de la méthanisation, c'est de produire du gaz avec des effluents d'élevage et des résidus de culture. On prend ces résidus, on les met dans un méthaniseur qui ressemble à un gros digesteur, à un gros estomac. Ce digesteur est à une température de 38-39 degrés, permettant de fabriquer du méthane. On récupère ce méthane, on l'épure. Il peut alors avoir deux destinations : soit il est réinjecté dans les réseaux de gaz, qui est le gaz de ville dont nous disposons pour alimenter nos logements, soit il peut passer dans des moteurs de cogénération pour produire de l'électricité et de la chaleur. Ce sont des technologies relativement simples, biologiques, et qui se développent en France depuis quelques années avec l'objectif de produire soit de l'électricité soit du gaz.
Voila un joli petit schéma qui montre d'un côté les cochons, les poules et les vaches, et de l'autre côté que l’on peut soit alimenter nos foyers, soit produire de l'électricité. Et puis, depuis quelque temps, on utilise le gaz pour alimenter les véhicules.
Donc, lorsque je me suis aperçu de cela - j'avais auparavant pas mal travaillé sur les filières courtes- du coup, je me suis dit : pourquoi ne pas produire du gaz sur un territoire et l'utiliser dans les véhicules sur ce même territoire? Avec l'intérêt de réduire l'impact environnemental en utilisant le gaz dans les véhicules (il faut des véhicules un peu spécifiques pour utiliser ce gaz).
Contrairement aux autres carburants, le gaz permet de réduire l'oxyde d'azote, permet de réduire l'émission de particules fines, permet de réduire le bruit occasionné par les véhicules. Dans le cadre produit par l'agriculture ou d'autres sources organiques, on a un gaz complètement renouvelable. Avec, actuellement, un autre intérêt - et c'est totalement d'actualité - le gaz, étant peu taxé, est vendu beaucoup moins cher que l'essence ou le gasoil. Intérêt supplémentaire : le gaz peut être produit sur notre territoire, ce qui permet de maintenir de l'emploi local, de développer une économie locale. Il faut noter que, si le public vit assez mal l'installation d'unités de méthanisation sur leur territoire, lorsque les gens comprennent que le gaz produit peut nous permettre de circuler, l'acceptabilité est beaucoup plus importante et il devient beaucoup plus facile de faire accepter la production en amont. Les gens prennent conscience que l'unité de méthanisation peut servir à tout le monde, qu’elle va participer à réduire l'impact environnemental, va permettre de rouler.
Aujourd'hui, c'est un carburant qui est relativement peu utilisé en France, même si, depuis 2 ou 3 ans, on commence à le développer. Dans d'autres pays du monde, il est beaucoup plus utilisé et c'est aujourd'hui le premier carburant alternatif utilisé en quantité dans le monde. Il existe sous deux formes :
- La forme GNC, c'est-à-dire du gaz simplement comprimé.
- La forme liquéfiée, essentiellement utilisée par les camions pour pouvoir parcourir de longues distances.
Je vous passe les détails sur les différentes utilisations dans le monde... Notons cependant que la France est jusqu'à présent un peu en retard, même par rapport à d'autres pays européens, puisque ce carburant est, depuis de nombreuses années, beaucoup plus utilisé en Italie ou en Allemagne. Tous les constructeurs autres que Français produisent des voitures au gaz depuis pas mal d'années. La France était en retard pour la production de gaz et son utilisation pour les véhicules. La visualisation de la carte des stations de distribution de gaz en Europe fait apparaitre que certains pays (Italie, Belgique, Allemagne et les pays de l'Est) sont bien alimentés, alors que la France, l'Espagne et l'Angleterre sont très peu équipés. Cette situation est en train d'évoluer puisque la France a fait ces dernières années un effort pour pouvoir créer des stations, et nous allons donc pouvoir rattraper un peu notre retard. On s'était engagés par rapport à l'Europe à créer des réseaux de stations.
Lorsque nous avons démarré, il y a quelques années, la méthanisation, on s'est dit que l'on pouvait peut-être utiliser ce gaz localement. Je suis alors entrée en contact avec un transporteur de Tarbes. Je suis allée le voir en lui demandant s'il connaissait le gaz et, au cas où les agriculteurs produisaient du gaz, si on pouvait développer des flottes de camions au gaz? Les échanges ont été longs et, un jour, ce transporteur m'a dit : "Allez, on se met tous autour de la table et on voit ce que l'on peut faire." Tout le monde était conscient, le transporteur en premier, que l'on était sur des territoires qui étaient aujourd'hui un peu en perte de vitesse et on avait besoin de maintenir de l'activité économique. Il y a quelques années, il n'aurait pas bougé ; aujourd'hui, il a dit que la question du territoire l'intéressait. Nous avons donc échangé avec des agriculteurs et nous avons pris la décision de créer une station de distribution de gaz pour pouvoir alimenter tous ceux qui le souhaiteraient. Un débat s'est institué pour savoir s'il fallait faire une station uniquement pour nous, ou au contraire l'ouvrir au public. Il est vite apparu évident qu'il fallait permettre à tout le monde de pouvoir s'équiper.
"Allez ! On se lance et on essaiera de mobiliser les uns et les autres pour essayer de faire vivre notre station", avec l'espoir que les collectivités suivraient. Dans d'autres grandes villes, le gaz est surtout utilisé pour les bus et les bennes à ordures ménagères, pour des questions de réduction de pollution et de bruit. Toulouse, Bordeaux, Paris ont des véhicules au gaz depuis un peu plus de dix ans.
Voilà. Donc, nous nous sommes lancés ! Cela a été une aventure un peu originale de travailler avec agriculteurs et transporteur, de cultures différentes, des manières de travailler différentes. Nous avons créé cette station à Ibos et nous l'avons appelée "Ecowgaz". L'idée du nom "Ecowgaz", c'est pour signifier cette idée de filière courte, de production de gaz sur des territoires et de l'utiliser sur ces mêmes territoires, même si, entre la vache et la voiture, le gaz doit passer par les réseaux de gaz de ville…
Cette station fonctionne depuis août 2017. Aujourd'hui, nous travaillons avec d'autres partenaires pour savoir si ce concept intéresse d'autres territoires et pour partager notre expérience, partager ce que nous avons mis au point, partager tout cela avec d'autres porteurs de projets.
Merci.