INTERVENTION de Rachid ARBAOUI

éducateur à Solasur

      

 

 

 

 

     

     Bonsoir. C'est dur de passer après toutes ces personnes. Je regrette presque d'avoir dit oui. Presque...

 

     Je m'appelle Rachid Arbaoui, je travaille à la mairie de Tarbes dans un programme éducatif. Ça s'appelle le P.R.E. C'est en lien avec la politique de la ville. Je fais ça depuis 2011. Le but de la politique de la ville, c'est de réduire les inégalités dans des quartiers dits "prioritaires", on peut dire défavorisés, avec un niveau de vie considéré comme plutôt bas. Donc, ce sont des quartiers prioritaires et qui sont dans une situation un peu compliquée pour lesquels on essaie de diminuer cette fracture. J'interviens auprès de jeunes de deux à seize ans qui me sont souvent ciblés par l'Education nationale, mais pas uniquement. Je précise que je ne suis pas éducateur spécialisé. J'ai un parcours universitaire très modeste : j'ai une licence en Sciences de l'éducation et une expérience personnelle de pas mal d'années (23-24 à peu près).

 

    On propose des parcours individualisés à ces jeunes, dans différents domaines : accès aux loisirs, accès aux soins, ouverture culturelle, accompagnement éducatif - c'est peut-être pour ça qu'on m'assimile à un éducateur, parce qu'on rencontre souvent des familles dans ce contexte-là. Cette question vient forcément. On arrive par le biais peut-être de l'école, des difficultés scolaires, mais, souvent, de l'accompagnement éducatif est mis en place. On aide à la mise en place d'ateliers par enfant, on propose de l'aide aux devoirs, du soutien à la fonction parentale. Soutien à la parentalité : on essaie d'apporter quelques billes aux familles avec lesquelles on travaille. Tout ça repose sur le volontariat avec les familles, donc ce n’est pas un juge qui nous envoie. C'est un échange qui se fait. A partir de là, on décide de travailler ensemble ou pas. Il faut que l'on soit d'accord, il n'y a aucune obligation. On essaie d'établir une confiance entre les différents partenaires, confiance réciproque. On essaie de valoriser les compétences de ces enfants, des parents aussi, si possible, parce que ça peut aider. Il y a de la confidentialité. Malgré les apparences, il y a un côté sérieux, confidentiel dans les échanges que je peux avoir avec ces familles. Je ne vais pas divulguer tout ce qui se passe aux voisins d'à côté. J'essaie de bien leur expliquer dès le départ que ce qui se passe se fait dans un cadre sérieux et que l'on peut se dire les choses, ça reste entre nous. Et puis j'essaie d'être bienveillant avec tout ce monde.

 

    Dans ces parcours que j'ai cités, on a des propositions très concrètes : par exemple, quand je dis l'accès aux soins, ça va être de l'accompagnement à la Sécu pour refaire une carte, pour leur permettre d'accéder à des droits... Voilà, il s'agit de choses concrètes. Quand on parle d'accès aux loisirs ou au sport, il y a le droit commun, des dossiers qu'on peut monter. Il y a souvent des familles qui ne sont pas au courant. On leur explique les démarches. On les accompagne dans un premier temps et puis, après, on leur demande de faire elles-mêmes parce que le but est aussi de faire en sorte qu'elles arrivent à être autonomes. D'ailleurs la politique de la ville en la matière, c'est que si on est amené à un moment à ne plus être là, il faut que les choses puissent continuer. Je ne suis pas une béquille éternelle et je tiens à le préciser aussi.

     Dans mon métier il y a beaucoup de dialogue, beaucoup d'écoute. Je travaille dans la proximité et la réactivité. J'essaie d'être rapidement là quand une situation peut éventuellement dégénérer. Et je parle d'une situation, pas de tout le quartier, mais des personnes avec lesquelles je travaille. Peut-être y-a-t-il parmi vous des travailleurs sociaux... J'ai personnellement à peu près 84-85 suivis. Ça fait quand même pas mal d'enfants. Si vous ajoutez certains parents qui vont avec, si vous rajoutez qu'il y a des frères et sœurs dont je suis amené à m'occuper même s'ils ne sont pas dans le programme, vous voyez que ça monte très vite.

         Et j'essaie, c'est un principe que j'ai, de rendre un peu ce que j'ai pu avoir dans ma jeunesse. Je n'ai pas dit que j'ai passé 30 ans dans ce quartier; j'y ai grandi (je suis très content de voir ici quelques-uns de mes professeurs du lycée Théophile Gautier). J'ai pu bénéficier de certaines aides. Je sais ce que c'est de vivre dans ce quartier et j'essaie de rendre aux autres ce que j'ai pu recevoir à une certaine époque.

 

         Dans ce contexte, je suis amené à rencontrer différentes personnes de différents horizons qui partagent souvent les mêmes difficultés : difficultés financières, matérielles, des difficultés éducatives. Ça peut être du comportement de leurs enfants, des difficultés d'adaptation à notre société française lorsqu'ils arrivent d'autres pays. On essaie de filtrer un peu tout ça et de les rassurer. Des difficultés de logement, une certaine précarité. Parfois, je rentre dans des endroits (je précise que je ne fais pas de voyeurisme ni dans le misérabilisme, mais c'est une réalité), dans des appartements qui peuvent être très précaires, très vétustes. Ce sont des personnes, des familles qui arrivent et qui sont contentes d'avoir un logement à eux et qui n'ont pas forcément de quoi tout meubler, qui n'ont pas le luxe que l'on peut avoir (je trouve que nous sommes de grands privilégiés).

 

         Je rencontre également des gens qui ont des problèmes de santé physique, mais aussi de santé mentale et psychologique. On a des gens qui sont en difficulté, qui souffrent. Parfois, je me retrouve à faire le psychologue en herbe. J'écoute et, après, j'oriente. C'est aussi le rôle de ce programme de réussite. C'est aussi écouter et orienter. Parce qu’il y a le droit commun et, heureusement, on n’est pas tout seul, on travaille en partenariat. Il y a une dimension collective dans tout ce que l'on fait. J'ai des partenaires qui sont dans la salle. Travailler seul quand on est jeune - je me souviens, il y a 20 ans, je me disais que pour bien faire, il vaut mieux que je fasse moi-même. Avec le temps, j'ai appris qu'il vaut mieux partager les choses. Mes collègues connaissent la phrase : "Il faut tout un village pour éduquer un enfant". Depuis quelques années, je m'inspire de ce proverbe.

 

         Je travaille avec des populations et des nationalités différentes, venant de tous les horizons. On retrouve de la grande précarité, des difficultés dans la communication, de l'isolement que l'on essaie de rompre ; des situations irrégulières, des personnes qui n'ont pas de papiers ou qui doivent les renouveler ou alors qui n'ont pas le droit de rester plus d'un an... C'est tout un stress, un état d'esprit qui fait que ces personnes cumulent des enfants à scolariser (et nous leur disons l'importance de faire les devoirs, de réussir scolairement pour avoir du travail), en même temps des parents qui sont inquiets pour un enfant malade. Je me souviens d'une période durant laquelle on recevait pas mal de gens des pays de l'Est avec des enfants qui ont vécu des traumatismes. J'ai toujours en tête ce petit garçon qui habitait sur Solazur alors que j'y étais. Il y a quelques années, la patrouille de France arrive au-dessus de Solazur. On est tous dehors en train de regarder ce magnifique spectacle. A un moment donné, il y a un Mig, un avion russe qui est passé, qui a fait une grosse montée...VRRRR... et là j'ai vu plein de petits garçons partir en courant et aller se cacher sous une tour. Voilà, tout simplement, ça leur a rappelé des souvenirs. Donc, on travaille aussi avec ce genre de traumatisme. Le partenariat est vraiment important, donc on oriente selon les âges au C.M.P.P (centre médico-psycho-pédagogique), à la M.D.A (maison des adolescents)... Il y a plein de partenaires à ce niveau-là qui nous aident à faire avancer les choses. Il y a des associations avec des personnes que je suis très content de connaître depuis des années, qui aident aussi ces jeunes dans les quartiers, qui sont très patientes et qui, tous les ans, se battent pour qu'ils puissent réussir. On essaie de combler ces inégalités.

 

         Beaucoup, beaucoup ressentent une grande détresse. Dans les quartiers, il y a une mixité : beaucoup d'étrangers, mais aussi beaucoup de personnes d'origine française vivent là. Tout le monde est concerné par les difficultés. Tout le monde rencontre des difficultés. Je tiens à préciser, sinon je ne serais pas venu ce soir, que je suis très optimiste (sinon je ferais un autre métier, je crois) : elles ont des difficultés dans certains domaines, mais elles ont des ressources énormes. Ce que je peux voir avec mes 11 ans de retour dans ce programme et mes 23 ans de travailleur social, c'est quand même des gens qui ont souffert, qui ont des difficultés et qui s'en sont sortis et qui progressent, qui avancent. Je suis content régulièrement d'avoir des nouvelles de familles qui m'appellent, qui ont gardé mon numéro et qui me donnent des nouvelles parce qu'elles savent que ça m'a beaucoup préoccupé, que j'ai suivi leur évolution. Et je suis toujours très content de voir quand ça se passe bien. En ce qui concerne la famille tout à l'heure, j'étais très ému aussi de voir que l'on arrive d'Irak avec toutes ces souffrances qu'ils ont vécues. Dites-vous que, pour un musulman modéré comme moi, tout ça est dur à entendre. Ça fait mal de voir que l'ignorance, l'extrémisme, ça détruit des gens qui devraient être, comme ça l'était dans un passé pas si lointain, dans une amitié universelle. Quand j'entends ce genre de propos, je me suis retenu parce que j'avais la larme à l'œil. Ça me choque.

 

         Autre problème dont je n'ai pas parlé, en dehors de la délinquance classique dans un quartier, dont on entend souvent parler. J'essaie aussi d'apporter ma pierre à l'édifice dans ce qu'on appelle la prévention de la radicalisation. Parce qu'il ne faut pas être expert en Coran, en religion, pour pouvoir parler de cela avec eux. On peut parler de tout ce qui est radicalisation, avec des valeurs humaines, universelles. Rappeler le bien, ce que l'on peut, ce que l'on doit faire par rapport à quelqu'un en situation de faiblesse ou de détresse. Cela n'a rien à voir avec une religion. J'ai constaté que certains jeunes confondent souvent des rejets envers un jeune dans un quartier du point de vue social (pas de travail...) avec des conflits de religion (on leur dit : c'est parce que tu es musulman que tu es rejeté, etc...). C'est tout un discours au quotidien que l'on peut avoir avec certains jeunes, piqûres de rappel régulières à faire, pour leur dire que ce n'est pas ça. Si tu es dans cette situation - oui il y a des inégalités sociales - ça n'a rien à voir avec ta religion. Il va falloir que tu retrousses tes manches, que tu essaies de t'en sortir. Il y a des gens qui sont là pour t'aider. Ils ne sont pas musulmans et ils t'aident. Tu vois, ce n'est pas religieux, ils t'aident en accord avec des valeurs humaines.

Je vais m'arrêter là-dessus.

      Rachid Arbaoui

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