INTERVENTION de Franco GEDDA

responsable du Cenacolo, lieu de vie

 

 

 

     Bonsoir à tous. Ce n'est pas facile après ces images et ces témoignages très poignants... Je suis un peu ému, mais il faut aller de l'avant. Je remercie tous ceux qui m'ont invité, particulièrement Monique. Merci. Je m'appelle Franco, je suis italien... grave défaut que je n'arrive pas à changer. Je ne prends pas ma femme comme traducteur...

 

     J'ai un passé un peu triste : je me suis drogué pendant 23 ans. J'ai commencé assez jeune et je me suis perdu un peu dans toutes les drogues jusqu'à l'âge de 38 ans où j'ai rencontré le Cenacolo fondé par une religieuse italienne, sœur Elvire, en Italie. C'est un lieu d'accueil, où l'on reçoit des personnes en difficulté comme moi et on leur propose un style de vie assez simple mais assez exigeant pour changer leur vie, pour se remettre debout. Pour apprendre à se connaitre, pour apprendre à se dire quelques mots, pour être capable de revivre un jour dans le monde. Je viens d'une famille "normale". J'étais le plus petit, avec un frère et une sœur qui avaient 10 et 11ans de plus que moi. J'étais le petit dernier un peu trop gâté et, assez vite, je me suis perdu dans l'alcool et dans la drogue, déjà vers l'âge de treize ans, sans arriver à dépasser le mal-être de l'adolescence. Mon père, que j'aime beaucoup et qui est déjà monté au ciel, avec lequel je me suis repacifié, était un peu absent. Il essayait de nous donner tout son amour - il nous aimait beaucoup - à travers des choses matérielles. Il avait aussi vécu la guerre, lui. Mais pour moi, toutes ces choses matérielles... j'ai presque pensé que la vie, c'était un film. Et j'ai commencé à vivre vraiment de fantaisies et déconnecté un peu de la réalité des choses et surtout du sacrifice, du devoir, des choses à faire... J'étais complètement déstructuré. Pour vous dire : le mal-être de l'adolescence, je ne l'ai pas dépassé. J'arrivais dans une fête où, avec les copains j'avais toujours besoin, pour rester au milieu des autres, de boire, de fumer. Pour aller voir une fille, c'était pareil, j'avais besoin de boire, de fumer ou de me droguer. Et après, j'ai commencé à vivre avec certains types de personnes, c'était notre bande, notre façon d'être. J'ai commencé aussi à faire la belle vie. A 22 ans, j'avais une discothèque, je me suis perdu dans la vie de la nuit. Après, j'ai essayé de me remettre un peu en travaillant. J'ai toujours travaillé quand même pour payer mes plaisirs. Surtout j'ai commencé à me faire des masques et avoir plusieurs personnalités. J'étais jamais le même et surtout avec la drogue, j'étais devenu menteur, je me racontais des histoires aussi à moi-même. J'ai mis sept ans au lieu de quatre pour terminer l'école. Enfin, j'ai réussi à monter un bizness pour travailler. J'étais artisan, je travaillais mais je faisais toujours la fête, et jusqu'à me perdre, toucher le fond avec un peu toutes les drogues jusqu'à l'héroïne durant les dernières sept années. J'ai aussi essayé le suicide deux fois avant d'entrer au Cenacolo au début de l'année 2000, après que ma sœur ainée ait prié dix ans pour moi, après avoir écouté un témoignage de deux garçons du Cenacolo donné dans une église de notre ville. J'avais vraiment la tête dure, elle a dû prier dix ans pour moi ! Après, quand j'ai touché le fond, j'ai demandé de l'aide encore à ma famille. Je n'avais plus d'argent, je n'avais plus de drogue, je n'avais plus rien. Il n'y avait plus personne.

 

     Je suis rentré au Cenacolo désespéré, j'avais touché le fond... j'étais dépressif... je ne savais plus quoi faire de ma vie. J'ai essayé le suicide deux fois, et là, j'ai été accueilli par des garçons qui avaient vécu la même chose que moi et par un petit bout de femme, religieuse italienne, sœur Elvire. Elle dépasse un peu la religion, c'est vraiment une femme de Dieu, une petite mère Térésa, vraiment : concrète, que je voyais pousser la brouette... mais toujours souriante, pleine d'énergie avec un regard très fort. Et ça m'a touché, cette femme, mais aussi les garçons qui me regardaient dans les yeux. Ils se levaient tôt. Chez nous, on se lève à 6 heures, il y a un moment de prière... On habite des fermes. Le travail, c'est très important. Moi, j'ai retrouvé le goût du travail et de l'effort, un peu du sacrifice. Chez nous, on ne fume pas la cigarette, on ne boit pas d'alcool... il n'y a pas vraiment de sorties individuelles. C'est une vie assez stricte, exigeante, mais aussi très riche. Parce que nous sommes de plusieurs nationalités. Par exemple, dans la maison de Lourdes, on est 40-45 garçons de dix nationalités différentes. On travaille le jardin potager, on a des animaux, on retape la maison... Maintenant, on a aussi la chance d'avoir des retraités bénévoles qui nous aident sous forme de cours de jardinage, de cours de menuiserie. C'est vraiment une richesse aussi pour nous et pour la maison de Lourdes, pour sortir du fait d'être déstructuré et, petit à petit, ça reforme à la vie. Redécouvrir la vie, relever la tête... C'est important pour moi : le travail bien sûr, mais aussi la communication entre nous. Moi, j'étais très timide. 90% de nos garçons sont des grands timides. Et tu arrives dans un lieu où tu habites avec des personnes... et moi je n'arrivais pas à parler, même pas à table. J'étais enfermé en moi-même, et j'ai vraiment été poussé à le faire : tu te lèves à table, tu parles à tout le monde. Quelquefois, on fait aussi des partages : C'est très important de se réunir, et nous avons vraiment l'intuition que la communication, c'est très, très important. Et je pourrais rajouter la communication non-violente. Chez nous, nous sommes 40-45. Quelques-uns sortent de prison, quelques-uns arrivent de la rue, mais on partage. Par exemple, après un match de foot où on apprend à jouer sans arbitre, c'est nous-mêmes qui disons :"j'ai fait faute" ; à la fin, on s'assoit en rond et on partage ce qu'on a vécu pendant le match : je te demande pardon parce que j'ai fait une faute, je t'ai donné un coup de pied ou d'autres situations... Mais c'est important de s'exprimer. Ça, c'est le premier moment. Aussi, après tous les repas, on partage deux à deux pour apprendre vraiment à écouter l'autre, à le respecter, et aussi à s'exprimer. Pour moi, ça, c'est vraiment une école de vie. Je venais d'une famille où la télé avait tué le dialogue. Chez moi, encore, on mangeait  ensemble, après on partait regarder la télé. Et là, j'accueille des garçons qui n'ont plus de repas de famille : chacun arrive, se sert au frigo. Ici non : on se met à table, on parle, toujours à l'heure, toujours ensemble. Je pense qu'il y a une chose que j'ai apprise au Cenacolo : c’est que, tout seul, je n'aurais pas pu m'en sortir. J'ai eu besoin d'autres personnes qui, au début, m'ont montré comme j'étais, mais aussi avec les talents, les belles choses que je ne voyais plus de moi. Ils sont arrivés à me le dire, et aussi les défauts que je me cachais à moi-même. Et ça, c'est très important pour évoluer, pour changer.

 

     Chez nous, on fait aussi une révision de vie tous les quinze jours. On se partage en petits groupes dans lesquels chacun exprime ce qu'il a vécu les deux dernières semaines et, après, dit simplement : "Et maintenant je demande votre aide". On reste en silence et les 3 ou 4 autres lui disent ce qu'ils voient en lui. C'est assez décapant au début, mais ça fait aussi du bien. Et surtout, au début, on fait attention à dire aussi du positif au jeune qui vient d'arriver.

 

      Ce que je peux dire, c'est que je suis très content que le Seigneur m'ait envoyé ici à Lourdes. Je suis italien, je suis entré dans une maison en Italie. Maintenant, le Cenacolo a plusieurs maisons dans le monde entier. Quand je suis arrivé à Lourdes, le 11 février 2001, c'était pour couler une dalle en béton et rester 15 jours, c'était mon métier. Après, il y avait tellement de travaux à faire qu'ils m'ont demandé de rester un peu plus. Je l'ai fait vraiment avec joie, ça m'a plu... le lieu... et tout. En plus, j'ai eu la chance de rencontrer une femme à Lourdes, Bernadette... Je pense qu'il n'y avait pas de hasard... je l'ai pris comme un signe... et on a commencé à cheminer, se réunir... Bernadette venait faire une expérience, avant de se mettre avec un type comme moi... Je vous dis pas quand je l'ai présenté à sœur Elvire ce qu'a dit sœur Elvire de moi à Bernadette... et moi j'étais obligé de traduire... Mais bon, elle a décidé de me suivre, de vivre là. Et pour nous, c'est devenu notre vocation. On s'est mariés un peu tard, on n’a pas eu d'enfant et tous ces jeunes, moins jeunes, sont nos enfants à nous. Cette année, j'étais à quatre mariages de garçons qui sont passés chez nous, qui sont déjà sortis et se sont mariés. Nous avons eu aussi cinq naissances de "petits-enfants" de couples qui se sont formés après le Cenacolo. Cela pour vous dire que moi,  je suis passé par là, je me suis drogué, je me suis perdu, j'étais vraiment mort physiquement et à l'intérieur. J'avais vraiment de grosses difficultés, et, en fait, à travers ce lieu de vie, ce style de vie, j'ai retrouvé la vie. J'ai relevé la tête, j'ai réussi à m'en sortir et j'ai envie si je peux aider quelqu'un d'autre à s'en sortir. Et ça, c'est une joie qui nous comble énormément. Bien sûr il y a aussi des échecs, mais il y a aussi tellement de belles choses, de belles résurrections. La vie continue. L'amour qu'on peut respirer au Cenacolo, c'est plus fort que la mort, que la drogue qui nous enfonce dans les ténèbres. Enfin, j'ai beaucoup d'espérance et d'espoir, mais je dirais plus d'espérance, car il y a quelque chose en plus à travers une dimension spirituelle. Je pense qu'on a aussi besoin de ça pour renaître, recommencer une nouvelle vie. Merci.

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