Dieu, tout puissant, de quoi ?

par Michel DAGRAS - Narthex nov 2017

 

 Bonsoir à toutes et à tous.

 

      Dieu tout-puissant de quoi ? Il y a 2 manières de le lire :

     * Si, par exemple, vous mettez un point d'exclamation à la fin : « Dieu tout puissant... de quoi !" Quand on voit les malheurs du monde, les tragédies terribles dans lesquelles nous sommes, cette sorte de malheur sidérant dans lequel nous baignons, à l'international dans les zones où les persécutions et les guerres sévissent, et aussi chez nous... J'ai téléphoné tout à l'heure à une amie qui est en train de mourir d'un cancer. Dieu tout-puissant, de quoi !

 

    * Mais je suis ici comme chrétien ou essayant de l'être et je reprends la phrase qui a été citée il y a un instant : "Je crois en Dieu, le Père tout-puissant..." et tout-puissant de quoi ?’’ Je passe de la question du défi à la vraie question : "Père tout -puissant..." Déjà, on peut se dire : "tout-puissant" s'applique à Père. C'est déjà pas mal, ça évacue, ça élimine, ça marginalise une toute-puissance autocratique où tout descend du ciel pour tomber sur la terre. Effectivement, pendant longtemps... et encore lorsque l'on dit,  ’’ pendant longtemps’’, on se réfère à des postures, des positions, des pensées qui, même si elles sont approfondies, perdurent : aujourd'hui encore, cette toute- puissance de Dieu prise au premier degré demeure impressionnante. Aux Antilles, il y a des cyclones et quand il y a menace de cyclone (on a des avertissements assez tôt, parfois quelques jours à l'avance), on voit dans les églises des gens se réunir pour prier, allumer des cierges, prier Dieu que le cyclone ne nous passe pas dessus (maintenant, s'il passe chez le voisin, c'est moins grave...). Curieux de prendre ce Dieu comme un puissant qui peut appuyer sur les boutons des catastrophes et des malheurs, mais aussi des bonheurs. Et ceci dure encore. On va prier Dieu, la prière de demande... il peut tout. Il peut me faire réussir aux examens même si je n'ai pas trop travaillé… Il peut me guérir même si ma maladie est incurable... C'est très curieux, cette façon. C'est vrai : "demandez et vous recevrez". Dans le Notre Père, la prière de demande suit une première partie qui dit : "Que ta volonté soit faite". Donc la demande, si elle a lieu, s'inscrit dans la volonté de Dieu. Mais là, j'anticipe. Pour le moment, nous sommes devant cette figure de Dieu qui traîne dans la Bible, au moins dans les périodes les plus antiques de cette bibliothèque qui considère Dieu comme le potentat qui peut tout, qui fait pleuvoir... Et on l'invoque pour qu'il prête la main aux armées pour battre à plate couture les ennemis, et quand la réussite est là, la victoire est là et on lui offre des sacrifices de reconnaissance.

 

     C'est difficile d'en rester là. Ça n'est pas possible parce que, à la limite, soyons honnêtes, ça veut dire que nous n'avons plus rien à faire, sauf tout attendre de lui et selon son bon vouloir. Il y a une sorte d'idée de prédestination là-dedans. Certains sont aimés de Dieu et sont guéris, sauvés, soutenus, enrichis. Et d'autres ont dans les malheurs qui leur arrivent le signe qu'ils ne sont pas dans cette amitié divine. Et on voit encore, dans certaines tendances religieuses, Dieu qui punit les méchants, qui protège les bons. C'est un peu carré, mais impressionnant. Une devise Bénédictine (ça remonte loin, St Benoît est un ancêtre dans la foi chrétienne) dit : "Ora et labora". Prie Dieu que ça se passe bien, que ses bienfaits tombent sur la terre... et travaille. Ça n'est pas : "Aide-toi et le ciel t'aidera", c'est le contraire : ‘’Prie d'abord et travaille.’’ Il y a là déjà l'idée d'un rapport entre la Grâce et la Liberté qui est au cœur de la préoccupation théologique au fil des siècles. Quel est ce combiné entre la Grâce qui est prévenante et la Liberté qui est nécessaire ? Nous sommes sauvés par la Foi. La Foi, c'est une grâce, bien sûr, mais qui implique la réponse libre de l'homme. Déjà, nous sommes un peu décalés par rapport à cette vision de la toute-puissance qui tombe sur nous comme ça. Il fait des déluges quand ça va mal. A ce propos, il aurait pu suggérer à Noé quand il a rempli son Arche de tout un tas de couples de bestiaux... s'il avait pu oublier les moustiques... Il y a un problème relatif à la toute-puissance de Dieu qui peut nous empêcher de dormir ce soir.

     Sur les côtes océaniques, il y a des ex-voto : des personnes réchappées du naufrage donnent un petit bateau pour remercier Dieu de les avoir sauvées. Pourquoi il ne les sauve pas tous ? Ça pose des questions. Donc cette conception de toute-puissance de Dieu pose problème et notamment à partir des faits. Alors que dire ? A la limite, la question posée "Dieu tout-puissant de quoi ?", c'est à LUI qu'il faudrait la poser. Moi, je me sens incapable de répondre à la place de Dieu. Comme me disait une amie après la lecture d'un psaume dans lequel, à une époque un peu terrible, il tombe sur les premiers-nés des Egyptiens (exécuter des enfants, c'est assez sauvage...) : "Quand même, Dieu, il exagère..." Je crois que, à propos de ce psaume, certainement, mais nous pourrions faire la même observation à propos de bien d'autres choses. Et puis, ça devient tout à fait métaphysique : Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Qu'est-ce-que c'est, cette création ? D'où ça vient ? Surtout que, lorsque l'on analyse un peu, on la trouve un peu complexe : la loi de la jungle qui régit les fonctionnements....Même avant que l'homme n'arrive, donc bien avant ce qu'on appelle le péché originel, les grands reptiles avec leurs dents et leurs griffes s'entretuent et s'entredévorent. Et Dieu dit que cela était bon. Je me pose quand même la question...

 

    Les Franciscains ont une spiritualité très fleurie... la nature, les petits oiseaux... eh bien ! les petits oiseaux ont un bec, et le bec, c'est une arme. En disant cela, je m'avance paisiblement vers un certain agnosticisme. Je n'enlève pas la foi, mais ça la remplit d'humilité. Il y a des questions auxquelles je n'ai pas réponse. Or le problème des théologiens, c'est qu'ils semblent avoir réponse à tout. C'est terrifiant ! Le must dans ce domaine de l'invention théologique pour combler les vides ouverts par l'agnosticisme religieux, c'est l'invention des limbes ! Vous avez entendu parler des limbes ? Je vous rafraîchis la mémoire : quand on meurt, on passe en jugement. Si on a été bon, on finit au paradis. Si on a été très mauvais, on finit en enfer. Si on n'a pas été tout à fait très mauvais, on a une épreuve à durée variable avant d'aller au paradis. Alors, je vous prie d'observer ceci : la durée est variable, mais nous sommes dans une situation où l'espace et le temps n'existent plus... Les lieux paradis, purgatoire, enfer sont des lieux, et nous sommes capables avec notre géographie dans la tête de faire des dessins. L'espace n'existe plus, ni espace ni temps. C'est sur-naturel. Alors se pose un problème. Pour aller au ciel, il faut être baptisé, ça c'est clair. Et ceux qui meurent sans baptême ? Tous en enfer !... Et puis, quand même, ça a chatouillé l'esprit et le cœur de certains qui se sont dit : quand même, les petits bébés (et la mortalité infantile était assez considérable) qui meurent avec le péché originel (puisqu'ils ne sont pas baptisés) et qui n'ont commis aucun péché de leur fait, pourquoi les balancer en enfer ? C'est trop rude. On ne peut pas les mettre au purgatoire parce qu'ils finiront au ciel, or ils ne sont pas baptisés et ne peuvent pas y aller. Les théologiens, qui ont horreur du vide, ont dit : il y a des limbes (du latin limes = frontière). Ils sont à la frontière... Et s'ils s'étaient contentés de dire ça, mais on va plus loin : que leur arrive-t-il dans les limbes ? Ils ne peuvent pas avoir de bonheur surnaturel, c'est le ciel, ils ne peuvent pas avoir de malheur éternel, c'est l'enfer, alors ils bénéficient d'un bonheur "naturel". Un bonheur naturel dans une situation surnaturelle...? Ils l'ont fait, ils l'ont dit. Je sors un peu du sujet, mais quand même... Quand j'étais petit, j'avais 6 ans, j'ai eu un cours de catéchisme dans lequel étaient intégrés les limbes. Je vous prie d'admirer la pédagogie de l'époque qui balançait les limbes pour des gamins de 6 ans. Nous sommes sortis de ce cours perplexes. Et l'un de la classe nous a dit d'un air important : "Vous avez été baptisés, vous ?" Aucun de nous ne s'en souvenait. Alors, il eut cette parole terrible : " Vous vous rendez compte, si on passe sous une bagnole, on va finir dans cette saloperie de limbes ! " La qualification de limbes nous plaisait beaucoup. Et pour éviter ce malheur, même si le bonheur promis était naturel, il nous a tous rebaptisés à la fontaine ! Vous voyez qu'avec deux baptêmes dans la musette, je peux voir venir et aborder tranquillement "Dieu tout puissant, de quoi ?".

 

    Pourquoi sommes-nous mortels ? Mon grand-père est mort, mon père est mort, j'ai bien peur que ce soit héréditaire... Mais pourquoi ? Quel sens donner à cette vie qui finit mal ? Pourquoi rétribue-t-il de façon aussi désordonnée ? Certains sont bien, en bonne santé, intelligents, entreprenants. D'autres ont tout le contraire de ces qualités. Et vous avez des mélanges entre fort, beau et bête, intelligent et scrofuleux... Il y a de tout. Il y a même des culpabilités qui sont accrochées à ça. Si jamais je suis mal fichu, c'est que peut-être j'ai fait quelque chose qui n'est pas bien. C'est troublant… cette justice dite distributive. Coté distribution, il y a des problèmes... Et la parabole des talents que nous avions, il y a quelques jours, dans l'évangile : le type un peu prudent, peureux qui cache un talent... "Mais tu savais que je récolte là où je n'ai pas semé." Allez, dehors ! et ton talent, je le donne à celui qui en a le plus. Et les ouvriers de la onzième heure... A la Bourse du Travail, allez raconter les ouvriers de la onzième heure, tiens ! Je m'étonne que les murs restent tranquilles !

 

   Nous sommes dans une impasse. Dans la Bible, un des ouvrages remarquable qui traite cette question en acceptant l'agnosticisme, c'est le Livre de Job. Au fil des pages, Job, qui est un homme de bien, dans son malheur est sollicité par ses amis qui lui disent : "Mais attends, cherche un peu, tu vas voir la cause des malheurs qui t'arrivent, venant de Dieu". Il ne trouve rien, rien. Alors après, il faut que ça finisse bien : Dieu le remet dans ses biens ; mais le petit raccourci final est en lui-même un aveu vu la quantité de texte qui le précède. On ne sait pas, ça nous dépasse... Alors que faire devant une affaire pareille ? C'est là que je pars avec vous à la recherche de réponses, en faisant confiance en vos interventions qui suivront afin de m'éclairer, mais assez persuadé que je repartirai comme avant quand même.

 

     Il y a des approches premières, elles sont dans l'Ancien Testament, mais même au-delà de l'Ancien Testament, dans ce que l'on pourrait appeler l'ancien testament de l'Ancien Testament. L'Ancien Testament n'arrive pas comme ça dans une espèce de no man's land spirituel. Il y a des religions avant lui, avec lui, qui l'accompagnent. Il y a des traditions qui s'entrecoupent. La Bible n'est pas un livre, c'est une bibliothèque. Et à l'intérieur des documents qui la constituent, il y a encore des passages d'origines différentes. Eh bien, très tôt devant ce Dieu, ou ces Dieux parfois inaccessibles, imprévisibles, redoutables, on se dit : quand même, si on pouvait entrer un peu en relation avec eux, pour les calmer quand ils sont en colère, et attirer leurs bienfaits quand ils sont en forme, on va essayer de le faire. Très concrètement, que va-t-on faire ? Nous avons des biens, des récoltes, des troupeaux. Ça vient de lui, ce n'est pas nous qui les avons fabriqués. On a bien cultivé un peu, mais au point de départ tout est donné. Alors, on va lui offrir ce qu'on a de mieux, on va le faire passer du côté de Dieu. Et là se pose un problème technique : comment faire passer un taureau dans la stratosphère ? On le tue et puis on le brûle et, dans les conditions normales de température et de pression, la fumée monte. Et Dieu récupère ce qu'on lui offre sous forme de fumée. Les holocaustes manifestent cette volonté de l'homme d'entrer en rapport avec Dieu : ‘’Je te donne afin que tu me donnes’’. C'est la trame profonde de tous les sacrifices. ‘’Sacrum facere’’, ce n'est pas faire quelque chose comme ça pour se mortifier. L'image la plus commune du sacrifice, c'est le cadeau : ‘’Je te donne pour être bien avec toi’’. Il y a un retour, un calcul : ‘’Je te donne pour que tu me donnes.’’ La gratuité est tout à fait relative dans le programme. Ça, c'est le premier acte. Il faut calmer les ardeurs de ce Dieu tout-puissant.

 

    Au chapitre 18 du Livre des Rois : un épisode assez fameux où le prophète de Dieu est en concurrence avec des prêtres ou des prophètes idolâtres, païens. Ils font un défi. Ils montent des sacrifices et pour voir quel est le vrai Dieu, ils implorent le ciel pour que le feu du ciel descende et allume le sacrifice. Les païens n'arrivent pas à le faire, mais Elie demande que l'on mette de l'eau sur le sacrifice, ce qui ne devrait pas faciliter la combustion, et voilà que le feu s'allume sur le bûcher d'Elie et, tant qu'à faire, ce feu du ciel descend sur les autres pour les cramer et l'on n’en parle plus. Victoire du Dieu tout-puissant ! Ça, c'est sur le Mont Carmel. Et puis, dans les vicissitudes de cet homme, il se retrouve à l'Horeb. Et là, il y a une page remarquable. Le tonnerre passe : Dieu n'est pas dans le tonnerre. Des tremblements de terre passent : Dieu n'est pas dans les tremblements de terre. Et puis une brise légère passe et Dieu est là. Écoute Dieu qui passe, non pas comme un brutal, mais comme un intime. Il y a une bascule : ce Dieu tout-puissant, terrible, épouvantable, c'est quelqu'un qui se veut proche. Ça, c'est une révolution. On va voir tout de suite la conséquence pour les sacrifices. S'il peut être proche, c'est qu'il est capable de faire de nous des convives : convives de la même vie. Alors l'holocauste ne va pas devenir tout à fait un holocauste. Il y a une partie de la bête qui sera simplement rôtie, donc comestible. A Dieu, le cramé, à l'homme, le rôti. Mais il mange à la même table, il devient convive. Variante de la même affaire : quand Moïse célèbre l'Alliance, il fait des holocaustes à n'en plus finir, mais le sang des taureaux (le sang, c'est la vie) arrose par moitié l'autel (le lieu à partir duquel on va vers Dieu) et le peuple. La même vie en Dieu et dans le peuple. Et quand, dans la liturgie de la Cène, on dit : "cette coupe est la nouvelle Alliance dans mon sang", la préfiguration de cette parole du Christ, sa prophétie lointaine, elle est là, dans le sacrifice de communion de Moïse.

 

         De quoi Dieu est-il tout-puissant ? Je ne sais pas mieux, mais je sais qu'il y a de sa part cette volonté de faire Alliance avec l'homme. Et toute la révélation s'approfondit, se clarifie dans ce sens. Dieu habite son peuple ; Dieu qui aime ceux qui l'aiment, Dieu qui entre en relation (Alliance). On pourrait se contenter de ce sacrifice de communion qu'on retrouve à la Pâque libératrice de l'Égypte en entrant au désert pour arriver au Sinaï où l'Alliance se fait sur un code, sur des lois. C'est quand même plus intime qu'un morceau de rôti dans une assiette. C'est un code, une manière de vivre. Dieu dicte sa manière de vivre : "Fais cela et tu vivras", dira Jésus en rappelant cette vieille loi. L'Alliance s'établit au niveau d'une manière de vivre ensemble. Et ça continue dans Isaïe, ça s'approfondit. C'est une histoire, c'est une pédagogie. Ne lisons pas la Bible de la première à la dernière page comme un roman. C'est un ensemble de leçons. Eh bien ! en voilà une, avec le prophétisme d'Isaïe. Une parole que nous entendons sept siècles avant Jésus-Christ, mais qui pourrait retentir aujourd'hui. Elle traverse ces siècles. Comme une étape à franchir, et si elle nous parle aujourd'hui, c'est que, peut-être, nous n'avons pas encore franchi cette étape. Parce que tout ce que je viens de dire sur la toute-puissance de Dieu et cette avancée avec le sacrifice de communion, ce sont des étapes qui ne se succèdent pas - on oublie la première et on prend la seconde - non, elles s'accompagnent. La seconde essaie de prendre le pas sur la première, mais la première demeure. Les supplications et les demandes sont de l'ordre d'une conception de Dieu tout-puissant qui peut tout à notre place. Alors que dans Isaïe, (c'est un texte que nous trouvons habituellement au début du Carême) : "Que m'importent tous ces sacrifices, dit Yahvé, j'en ai assez des holocaustes de taureaux et de la graisse des veaux. Je ne prends pas plaisir au sang des taureaux, des agneaux et des boucs. Vous voulez vous présenter devant moi, vous fréquentez les cours de mon temple, mais qui vous l'a demandé ? (Ah ! vous allez à l'église, mais qui vous l'a demandé ?) Arrêtez ces offrandes qui ne sont pas vraies. Je suis dégoûté de l'encens, des nouvelles lunes et des sabbats. Je ne supporte plus vos assemblées, vos hypocrisies et vos fêtes. Je déteste vos réunions. Elles sont pour moi un fardeau. Je ne les supporte plus. Lorsque vous chantez vos psaumes, je me détourne et je ferme les yeux." Il ne faut pas dire ça aux religieux et religieuses qui disent l'office tous les jours. S'il y en a là, je vous demande de me laisser sortir tout à l'heure quand même... Soyez charitables, ce n’est pas moi qui cause, c'est Isaïe. "Vous pouvez multiplier vos prières, moi je n'écoute pas, car vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous donc, purifiez-vous, enlevez de devant moi vos mauvaises actions, cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien, cherchez la justice, reprenez le brutal, faites justice à l'orphelin, défendez la veuve. Allons, discutons, dit Yahvé, si vos fautes sont rouges comme l'écarlate, elles deviendront blanches comme la neige". La faute, le péché, c'est la division, la séparation. Le sacrifice refait le lien, mais maintenant, ce ne sont plus des bestiaux, ce ne sont plus des cérémonies, ce sont des actes moraux, sociaux : défendez l'orphelin, secourez la veuve, arrêtez de faire le mal... vaste programme... Ce qui est important de voir, c'est ce décalage. La question reste : que devient la toute-puissance de Dieu là-dedans ?

 

         Alors une nouvelle donne se présente : l'homme n'est pas le réceptacle passif des grandes volontés divines. L'homme devient dans la grâce qui est prévenante, qui est première, particulièrement actif et responsable.  ‘’ Défendez l'orphelin, secourez la veuve.’’ Rappel de ce fondamental précieux de l'homme créé à l'image de Dieu. Il faut dire trois choses à ce propos :

    * Un sujet qui est responsable. Conscience + Liberté = Responsabilité. Si je n'ai pas conscience de faire un mal, je ne suis pas coupable. Si je ne suis pas libre, je suis contraint, je ne suis pas responsable. Si je ne suis ni libre ni conscient, je suis écrasé. L'homme est créé à l'image de Dieu, un sujet conscient et libre. C'est mêlé tout ça, ça n'est pas chimiquement pur. Mais enfin au fond de nous-mêmes, il y a de la conscience, de la liberté. Parfois, on préfèrerait être moins conscients et moins libres, ça nous simplifierait la vie. Et parfois, nous organisons notre vie et notre foi de façon à ce que nous soyons moins conscients et moins libres. La hiérarchie a parlé, la cause est entendue.

    * L'homme est sexué. Sexe, ça vient d'un mot qui veut dire ‘’séparé’’. L'homme et la femme, appelés à n'être plus deux, mais une seule chair. Ça aussi, c'est un programme. Les gens mariés parmi vous, apparemment, le savent. Je suis sur la planète masculine, la planète féminine est une autre, et réciproquement. Pour reconstituer l'ensemble humain, il faut la rencontre, le dialogue. Je raconte volontiers l’histoire suivante : j’étais prêtre pendant cinq ans aux Antilles. J’ai connu la dure condition du missionnaire à l’étranger, avec de belles plages de sable fin et des cocotiers… Ça faisait baver d’envie mes confrères. Je racontais qu’un jour, sur la plage après un bain, je vis entre les vagues une bouteille qui flottait et qui avait traîné dans l’eau depuis fort longtemps. Voyant qu’il y a quelque chose dedans, j’ouvre cette bouteille et sort de là un génie qui s’étire : ‘’ Il y avait trois siècles que j’étais là-dedans, tu m’as libéré (j’étais un peu espanté), demande-moi ce que tu veux, je te l’accorde ‘’. J’étais sur une île, Marie-Galante, séparée du continent, la Guadeloupe, par un bras de mer très agité. Je lui dis : ’’ Petit génie, tu me fais une route entre Grand-Bourg-Marie-Galante et Pointe-à-Pitre-Guadeloupe.’’ Il se rembrunit, me regarde : ‘’Mais tu me demandes quelque chose d’impossible ! Je suis génie, mais une route sur la mer, je ne peux pas ! Demande-moi autre chose… n’importe quoi, mais pas la route…’’   Je lui dis : ‘’ Tu sais répondre aux questions difficiles ? ‘’ – ‘’J’ai réponse à toutes les questions (j’ai cru tout un coup qu’il était théologien…)’’ – ‘’Écoute, petit génie, peux-tu me dire ce qui se passe dans la tête d’une femme ?’’ Il me regarde, réfléchit et me dit : ‘’Dis-donc, la route, tu la veux à deux voies ou à quatre voies ?’’ 

         Dieu a créé l'homme ainsi : incomplet, vulnérable et fragile. Avec le besoin de l'autre, différent de lui pour être lui-même. Et cette relation dans la différence est féconde. Les enfants viennent. Ce n'est pas de la reproduction à l'identique des parents qui d'ailleurs sont souvent espantés ; et quand le gamin se comporte mal, la mère dit au mari : "T'as vu ce qu'il a fait ton fils ?" et réciproquement. Dieu a créé la famille. Or l'homme est à l'image de Dieu. Donc Dieu est un pluriel de personnes. A un ami musulman qui me disait gentiment : " La différence entre nous est que nous, nous croyons en un Dieu et toi, tu crois en trois Dieux’’, je lui dis : "Crois-tu que Dieu est amour, de toute éternité ?" Il me dit "oui" - "Peux-tu me dire ce que veut dire aimer si on n‘a personne en face à aimer ? Et pour que cet amour ne s'emprisonne pas dans une sorte de dualité égoïste, la fécondité... trois personnes, la famille... image de Dieu". Il me dit : "Jamais on ne m'avait dit ça".

 

    * Nous sommes à l'image de Dieu et, s'il respecte l'image qu'il a créée, la relation qu'il va vivre avec cette image va donc se situer au niveau le plus intime, au niveau du cœur. Le psaume 50 déclare : "Mon sacrifice (c'est-à-dire ma manière d'entrer en relation avec toi, Seigneur), c'est un cœur brisé". Pas écrasé, pas cassé... mais ouvert, pour que la communication s'établisse.

 

         Maintenant, nous sommes proches de l'évènement Jésus-Christ. Le temps de l'accomplissement s'approche. Les grandes questions restent : Pourquoi tous ces malheurs, pourquoi mortels, pourquoi toutes ces histoires ? A l'intérieur de cette expérience difficile, lourde de questions, une certitude fait son chemin : Dieu non seulement existe, mais il nous aime. Au point, tout d'abord, de nous avoir créés à son image, puis jusqu'à cette communion dont l'accomplissement est le Christ dans lequel Dieu et l'homme se retrouvent attachés en restant distincts. Il y a une sexualité à l'intérieur du Christ, totalement Dieu et totalement homme. Un mélange dans une communion qui est celle de la personne, sans confusion. Un gamin, interrogé par le prêtre qui voulait émouvoir son petit auditoire en demandant : "Qu'est-ce qu'il devait penser le Christ quand il mourait pour nous en croix ?" répond, pratiquo-pratique : "Moi je m'en fous, dans trois jours je ressuscite". Ça porte un nom en théologie, c'est le monophysisme. Arriver à entendre, à accueillir ce mystère. ‘’Plus intime en moi-même que moi-même.’’ dira St Augustin. Et pourtant, infiniment distinct de ce que je suis. C'est le mystère chrétien. C'est l'originalité de la foi chrétienne… "Emmanuel" : "Dieu avec nous". Communion eucharistique... Où est la distance ? Ah, on l'a rétablie aussitôt. Tant que le Saint-Sacrement n'est pas dans le tabernacle, on reste à genoux. On l'a en nous, mais on le remet en face ! Très curieux, ça... Cette propension à rétablir la religion. Quand Salomon fait le temple de Salomon (1er livre des Rois, chap. 8), il y met du pognon, c'est difficile ; il ne se moque pas de Dieu et fait la plus belle maison qu'on puisse imaginer. Le jour de l'inauguration, il fait un discours d'autosatisfaction et de calcul aussi : ‘’Tu as vu, Dieu, ce que j'ai fait ? N'oublie pas la promesse que tu m'as faite d'avoir de la descendance.’’ Et tout d'un coup, en plein discours, il pose une question redoutable (l'agnosticisme dont je parlais tout à l'heure, lui, Salomon) : "Mais Dieu habiterait-il une maison faite de main d'homme, alors que les cieux ne peuvent le contenir ?". Frisson sur le dos des sponsors... Vite, il change de discours "Voilà, je t'ai fait cette baraque, toi, tu t'occupes de ma descendance."

 

         L'Alliance. Jésus veut faire une communauté que St Paul présentera comme étant son Corps : "Vous êtes le Corps du Christ". ‘’Ecclésia’’ : assemblée des fidèles habités par cette présence. Comme la présence du Christ est mystère, on ne va pas mettre des frontières à cette affaire-là. Comprenez que quand le Jugement est présenté dans St Mathieu :"J'avais faim et vous m'avez nourri, j'avais soif et vous m'avez désaltéré", les types demandent :"Mais quand est-ce qu'on t'a vu ainsi ?" Tiens, ce n’est pas des cathos ou des protestants, parce qu'au catéchisme, ils auraient appris qu'en servant l'autre, ils servaient le Christ. Ils savaient même pas ! Ils font partie du groupe des élus. Les frontières de l'Eglise, ou des mystères de l'Eglise, on ne les connait pas trop. Bref, une assemblée, qu'on appelle Ecclésia, la communauté, quand on parlait grec. Trois siècles de séparation entre l'Eglise et l'Etat, avec des persécutions. Constantin arrive, tout ce beau monde veut se mettre au soleil. Alors ils se réunissent (très intéressant ce début de l'Eglise visible, socialement visible) dans des basiliques. Basilique, ça vient de ‘’basilikos’’ : ‘’royal’’; donc le bâtiment dans lequel le roi administre et, éventuellement, rend la justice. Et puis il y a des villages dans lesquels ils construisent des édifices où ils se réunissent pour prier. L'assemblée, Ecclésia, se réunit dans une maison, d'assez grande dimension. Par extension, on va appeler ce bâtiment église mais, à la limite, c'est une usurpation : l'Eglise, c'est la communauté qui est dedans. Les pierres vivantes qui sont dedans, ce sont les baptisés qui se construisent sur la pierre angulaire qui est le Christ. Le bâtiment, il le faut pour se protéger de la pluie. Mais le temple est détruit, mais Jésus parle de son corps. Tiens, on passe du temple bâti au corps du Christ dont nous sommes les membres... Intéressant. Le voile du temple est déchiré. Dans le temple, vous avez un endroit spécifique protégé par un grand rideau dans lequel le Grand Prêtre rentre une fois l'an, et là, il bade devant la gloire de Yahvé et sort rayonnant devant le peuple esbaudi. Le voile du temple est déchiré : maintenant, Dieu n'est pas localisable dans un endroit particulier du temple, il est là, au milieu du peuple. J'apprécie avec un minimum d'humour que nos frères protestants et réformés aient restauré des temples.

 

     La toute-puissance va se manifester d'une façon tout à fait particulière. Les grandes questions du début demeurent... et elles resteront. Le péché, le mal, c'est ce qui détruit ce que Dieu a fait. Liberté infinie de l'homme. Pression sociale considérable. On est capable des pires malheurs, nous en avons des exemples épouvantables dans notre monde : il y en a de sanglants avec les guerres. Mais on s'y accoutume. Benoît XV, en 1917, déclare aux Français et aux Allemands : "Arrêtez ce bain de sang qui déshonore l'Europe". Tout le monde monte au créneau. C'est un pape boche, disent les Français; c'est un pape français, disent les Allemands. Et devant l'archevêque de Paris au carême de 1917, le prédicateur s'écrie du haut de la chaire : "Très St Père, nous sommes les enfants rebelles de l'Evangile, nous ne pouvons pas vous suivre." Il s'est fait crosser quand même, il a été déporté à Jérusalem après la guerre... Quelle turpitude de voir cela à l'intérieur des communautés chrétiennes, car Français et Allemands étaient de tradition chrétienne... Dans les deux guerres mondiales, avec une bombe atomique qui démolit des villes entières, des civils. Une stratégie de dissuasion qui est la nôtre, mes amis, fondée sur l'arme atomique, et depuis De Gaulle jusqu'à maintenant ! Vous savez combien ça coûte par an ? Cinq milliards d'euros. Et pour taper contre qui ? Ah, c'est pour la grandeur de la France ! Je suis un peu affuté sur la question. A l'Institut Catholique de Toulouse, j'ai fait un cours sur la théologie de la Paix et j'ai épluché tout ça de très près. La grandeur de la France ! Tiens, l'Allemagne n'a pas l'air aplatie et elle n'a pas l'arme atomique. C'est quoi ces raisonnements ? Et quand monsieur Quillès, ancien Ministre de la Défense fait un papier pour dire que c'est ridicule, obsolète, on cache ça très vite. Et puis, il y a cette turpitude beaucoup plus mesquine, plus sourde, beaucoup plus souterraine : ce système économico-financier dans lequel nous vivons. Où on écrase tant de petits, on délocalise, on jette... Comment dit le pape François ? ‘’La culture du déchet’’. C'est épouvantable! Nous sommes capables d'un mal qui est à la mesure de la liberté que Dieu nous donne, et d'une liberté qui nous est donnée au titre de notre ressemblance avec Dieu. Il faut rétablir le lien, sortir de ce mal qui nous sépare de Dieu. Lui seul est capable de refaire les ponts, de rétablir les liens, de refonder l'Alliance. Pour venir nous chercher tous, là où nous sommes, il descend au plus bas de ce que nous sommes. Il est descendu aux enfers, non pas l'enfer du diable (les enfers, c'est le mot antique par lequel on désigne tous ceux qui sont morts). Il va nous chercher tous là où nous sommes, il va descendre plus bas que notre misère. Déjà, petit bébé dans une crèche, c'est pas mal, mais crucifié sur un tas de détritus au Golgotha, lui, l'innocent ! Personne ne peut plus dire : "Je suis trop éloigné de Dieu, j'en ai trop fait, ce n'est pas possible". La toute-puissance de Dieu se manifeste dans sa toute-puissance d'amour qui vient nous chercher, se proposer en nous disant :"Je t'aime, n'aie pas peur, on repart". Il y a trois paraboles magnifiques au chapitre 15 de St Luc. La première parabole, c'est la brebis perdue, animal assez autonome par rapport à l'homme, mais enfin il faut lui courir après et le ramener. Et le berger est tout content de ramener sa brebis perdue. Il a laissé les 99 qui étaient là pour aller chercher la centième. La deuxième parabole, c'est une femme qui perd une pièce de monnaie et qui en profite pour faire le ménage jusqu'à ce qu'elle la retrouve. Elle est contente, elle appelle les copines, les voisines : "Réjouissez-vous, j'ai retrouvé le pognon que j'avais perdu"... et ils font la fête. Mais la pièce de monnaie n'existe pas si l'homme ne frappe pas monnaie. Il y a une implication de l'homme un peu plus forte que par rapport au mouton. La troisième : Le fils qui largue le père, qui prend l'argent et qui s'en va le dépenser dans un pays lointain où il mène une vie de n'importe quoi. C'est intéressant... il repart en Egypte. Il a quitté son père, il s'est autonomisé. "Vous serez comme des Dieux " dit la vieille écriture. ‘’Je me débrouille tout seul, je n'ai plus besoin de Dieu.’’ "Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y." (Prévert que l'on comprend s'il pensait au Dieu capable de faire tomber le tonnerre et le tsunami). Il revient après avoir réfléchi. On dit l'enfant prodigue, mais c'est le père qui est prodigue... Donc, il a pris son bien. Jeune prêtre, je faisais une préparation à la communion avec des gamins et des gamines au mois de mai. Il faisait beau, ils étaient excités, j'avais peur de ne pas tenir le groupe et je leur dis : ‘’Ecoutez, les amis, je ne viens pas vous faire du catéchisme, on va se raconter les paraboles. ‘’ On a commencé avec le bon Samaritain et on a continué avec l'enfant prodigue. Et puis je pose des questions : "Alors, les enfants, qu'est-ce que vous pensez du père de cet enfant prodigue ?’’ Petite voix d'une petite fille au fond de la classe : "C'est un con !" Remarquez que c'est à Toulouse... Je lui dis : "Pourquoi c'est un con ?" Elle me répond ceci : "Quand un enfant part de la maison avec de l'argent et revient sans rien, on lui flanque une trempe et on l'envoie au lit sans souper." Je me suis dit : ‘’L'éducation des générations futures est assurée...’’ Et puis, je lui ai  fait réaliser que ce n'était pas une leçon de pédagogie, mais un message sur la liberté dans lequel Dieu nous laissait. Cette liberté redoutable, tellement grande que nous sommes capables de devenir pécheurs. Alors, le père récupère son fils. Le fils, d'ailleurs, avait prévu sa confession : "Père, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils, traite-moi comme le dernier de tes serviteurs." Et avec ça dans le cœur, il remonte. Le père le voit, l'accueille, l'embrasse. Le gamin récite : "Père, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils, j'ai péché contre le ciel et contre toi." La finale, la pénitence qu'il avait prévue, il ne la dit pas ; des fois que ce père tellement bon accorde tout ce qu'on lui demande, il va se retrouver prolo à la maison… Alors, il s'écrase parce que, tout d'un coup, c'était encore de l'orgueil  de trouver lui-même sa pénitence. Le père fait tuer le veau gras. Le fils ainé, engoncé dans sa vertu, pique une rogne et dit : "Ton fils qui a perdu ton argent avec les prostituées (qu'en sait-il, il n'y était pas...), à moi, tu ne m'as jamais donné un chevreau pour festoyer avec les copains". Enfin, un père qui donne sa part d'héritage, il ne va pas mégoter si on lui demande un chevreau... Ça veut dire : tu ne m'as jamais rien demandé. Aucun dialogue entre les deux... et il quitte la maison. Et moi, j'aimerais qu'on écrive la suite, le retour du fils ainé. Pour en rester au texte tel qu’on l’a, le prêtre, interrogeant les enfants sur l'enfant prodigue, dit : "Alors, les enfants, qui était triste du retour du fils prodigue ?" L'un d'eux répond : "Le veau gras". C'est sublime, les gamins... Je vous invite tous à faire du catéchisme, c'est très intéressant. Le grand peintre, Rembrandt, présente ce beau tableau du retour de l'enfant prodigue qui est à l'Ermitage en Russie, avec les mains posées sur les épaules du petit : une main d'homme, une main de femme, pour montrer que l'affection de Dieu pour nous est une affection maternelle. Je crois que la toute-puissance de Dieu est de cet ordre.

 

         Il reste des questions qui se posent : d'accord, Dieu vient nous chercher au plus bas que nous sommes ; dans le mystère de son amour, il nous réconcilie avec lui, sa miséricorde dilue dans son cœur tout le mal que nous avons fait, mais pourquoi donc il souffre ? Pourquoi a-t-il payé en rançon pour la multitude ? C'est une question. Je me souviens, devant un public de religieux supposés savants, j'ai dit : "A qui a-t-il payé, mais à qui ?". L'un m'a dit : "A son Père". "Ah bon ! alors vous prenez Luc ch. 15, vous arrachez les pages et vous les mettez au feu". Qu'a-t-il fait payer, le père à son fils ? Mais ce serait atroce qu'un père traite ainsi son fils. Un autre a dit : "A l'homme". Un autre (c'est venu, je l'attendais) : "Au diable". Quand on a dit ça, j'ai senti mon saint patron (St Michel) qui perdait quelques plumes. Pourquoi a-t-il payé ainsi ? Il y a un théologien, François Varone, qui a écrit un ouvrage remarquable "Ce Dieu sensé aimer la souffrance" et qui explique ceci : dans la Bible, qui fonctionne toujours avec des images et de la poésie plus parlantes que des discours académiques, le péché, c'est la mort. On est séparé de Dieu, on est mort. Une mort spirituelle. Première image. Donc, la réconciliation, c'est la vie. Dieu nous donne sa vie, la vie baptismale. Nous vivons, nous sommes porteurs de la vie de Dieu. Il y a une autre image pour le péché, c'est les ténèbres, la nuit. On ne voit pas, on est perdu parce qu'on ne sait pas où on va. On tâtonne. Donc le salut, c'est la lumière. L'aveugle reçoit la lumière, il voit. "Fais, Seigneur, que je voie". Il y a aussi la maladie. On ne peut pas tenir debout, on est couché. "Allez, debout, lève-toi ! " On ne peut pas marcher, on est paralysé. "Lève-toi, prends ton grabat et marche." On marche avec des images et il y a une image fort importante qui est l'esclavage. Je suis esclave de mes péchés, je reste enveloppé de mes désirs, de mes pulsions que je ne maîtrise pas. Je me laisse emporter par elles. Pour se libérer de l'esclavage, dans la pratique sociale de l'époque, il faut payer une rançon. Donc, si le Christ nous délivre du péché en venant se porter, lui vivant, au pire de nos morts ("Mort, où est ta victoire ?"), je peux dire : logiquement, c'est un paiement. Il a payé rançon, pour la multitude en plus. Mais je n'ai pas à prendre ça au pied de la lettre. Sinon, ça va être catastrophique, je vais anthropomorphiser Dieu, le ramener à mes propres catégories et faire de sa justice ma propre justice et confondre les deux. Un passage repris par le pape Benoît XVI dans sa première encyclique, "Dieu est amour’’ : ‘’Dieu s'est dressé contre lui-même, son amour contre sa justice". Allez maintenant répondre à toutes les questions que l'on se pose sur Dieu. Allez chercher la justice de Dieu pour en faire un truc carré sous les fourches caudines sous lesquelles il faut tous passer. Mais nous ne sommes pas des marionnettes dans la main de Dieu. Sa toute-puissance d'amour rencontre notre liberté, et c'est là que la réponse a lieu. Oui, je crois en Dieu, le Père tout-puissant. Le père engendre, il éduque, il accompagne, il fait de ses enfants des héritiers. La voilà, la toute-puissance de Dieu. Elle est tellement puissante, cette puissance de Dieu qu'il se rend présent ici en nous tous, une présence réelle (encyclique de Paul VI en1965). Il faut que je finisse avec la prière de l'apôtre Paul (il a de l'autorité et de la puissance dans ses écrits) et je prends l'Epître aux Romains et je lis : "Que dire de plus ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui, qui n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous, comment, avec son Fils, ne nous donnerait-il pas tout ? Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu justifie ! Qui condamnera ? Jésus Christ est mort, bien plus il est ressuscité, lui qui est à la droite de Dieu et qui intercède pour nous! Qui nous séparera de l'amour du Christ ? Une catastrophe, une épreuve, une persécution, la faim, le manque de tout, le danger, le glaive ? Il est bien écrit : A cause de toi, nous sommes massacrés tout au long du jour, nous sommes traités comme des brebis d'abattoir. Mais au milieu de tout, nous restons les vainqueurs grâce à celui qui nous aime. Je sais que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les forces du monde, ni le présent ni le futur, ni les puissances du ciel et de l'enfer ou quelque autre créature ne peut nous priver de cet amour de Dieu, dans le Christ Jésus notre Seigneur."

         Je vous souhaite une bonne nuit.

Michel Dagras

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