Le film de Jacques Audiard, "DE ROUILLE ET D'OS", enchanta le Festival de Cannes.
Ça commence dans le Nord. Ali doit s'occuper de son fils,Sam, 5 ans, qu'il connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, Ali trouve refuge chez sa sœur à Antibes. A la suite d'une bagarre dans une boîte de nuit, son destin croise celui de Stéphanie. Il la ramène chez elle et lui laisse son téléphone. Il est pauvre ; elle est belle et pleine d'assurance.Tout les oppose. Stéphanie est dresseuse d'orques au Marineland. Il faudra que le spectacle tourne au drame pour qu'un coup de téléphone dans la nuit les réunisse à nouveau. Quand Ali la retrouve, la princesse est tassée dans un fauteuil roulant : elle a perdu ses jambes et pas mal d'illusions......
Le film fut suivi d'un débat avec la salle, animé par Paul DIMA, ancien formateur à l'Institut Catholique de Toulouse dans les domaines de la communication audiovisuelle et de la bureautique.
Notes en marge de la soirée ciné-débat, par Paul Dima :
Le corps au cinéma
Une soirée ciné-débat venait clore cette année la quinzaine proposée par le Narthex sur le corps. Cette dernière rencontre proposait de voir le film "De rouille et d'os" du réalisateur Jacques Audiard, et de se risquer ensuite à prendre la parole. Voir, ressentir, prendre la parole pour confronter les points de vue, les impressions et les réflexions suscitées par le film, voilà un parcours où le corps est partie prenante.
Les quelques notes ci-dessous ne reprennent pas les échanges qui ont suivi la projection du film. Ceux-ci demeureraient obscurs à ceux qui n'auraient pas vu le film et faute de prise de note, ils ne peuvent ici être reproduits fidèlement. Ces lignes veulent relever quelques aspects spécifiques de la place du corps dans le cinéma.
Voir d'abord
Avant tout, le cinéma met en œuvre le regard ainsi que notre capacité à prendre acte de ce que nous voyons. Bien souvent, il nous arrive de regarder sans voir ou sans avoir vraiment conscience de ce que nous voyons. La réception d'un film varie d'un spectateur à l'autre et les "j'ai adoré" ou "je n'ai pas aimé" à la sortie des salles de cinéma traduisent cette pluralité de regards porté sur un même objet. Ces positions enthousiastes ou ces rejets tiennent pour une part à une alchimie complexe mise en œuvre par la rencontre d'un film et de spectateurs. Le vécu de chacun, ses centres d'intérêt, ses peurs ou ses attentes constituent autant de filtres qui amplifient ou au contraire occultent des passages entiers d'un film, parfois davantage en fonction des parcours des spectateurs que de l'œuvre elle-même.
Voir un film
Voir un film pour ce qu'il est : un art de représenter, de mettre en scène, et non comme un miroir fidèle et neutre du réel tel que nous pouvons le percevoir. Pour la première fois dans l'histoire des arts de la représentation, avec l'image-mouvement, le cinéma a crée l'illusion de voir comme "en direct". Malgré le masquage du dispositif de représentation, clairement repérable au théâtre, le cinéma appartient bien à l'art du spectacle. Sa matière et sa forme naissent du jeu des acteurs, des choix de la mise en scène et de la création des décors. Par le travail de l'image, l'enchainement des séquences, le rythme du montage, l'emplacement et les mouvements de caméra, l'alliance des images et des sons etc., l'œuvre cinématographique s'offre comme un espace de médiation, de mise à distance dans lequel le réalisateur donne forme à son point de vue et son propos.
L'effacement des distances entre l'impression de réalité et les images du cinéma se vérifie lorsqu'on parle par exemple d'images de violence. On pense alors spontanément aux situations ou aux actes de violence montrés par les images, mais plus rarement à la violence exercée par la construction visuelle, à la violence des images. Dans ses propos sur le cinéma, le réalisateur russe Sergueï Eisenstein rappelait que, dans un film, une fourmi pouvait être plus dangereuse qu'un troupeau d'éléphants.
Le cinéma et le corps
Les corps des acteurs et celui des spectateurs. Se laisser prendre par un film dit bien une acceptation de la part du spectateur : celle de se laisser déplacer dans un monde où l'écran devient un espace dans lequel il est lui aussi impliqué, bien que toujours à distance. Ce déplacement prend le spectateur tout entier : corps avec ses ressentis physiques à la source de sentiments, émotions et pensées. Le dispositif même de la salle de cinéma y contribue. Proches et séparés les uns des autres, plongés dans l'obscurité éclairée par l'écran, comme dans un rêve auquel ils consentent et pour lequel ils se sont déplacés, les spectateurs vibrent aux images projetées. Ici se joue une sorte de sortie de soi et de capture émotionnelle liée au récit et à la puissance des images. Il faut pour cela une forme d'abandon ou de consentement de la part du spectateur sans lesquels la magie du spectacle ne fonctionne pas.
La présentation de la soirée dans le site du Narthex précisait : "Pour clore la 23ème Quinzaine du Narthex, un aspect du corps inattendu, entre tant d’autres : le corps mutilé, handicapé. Le film évoque sans misérabilisme les relations entre valide et invalide, mais aussi le peu d'attention qu'on a de notre corps quand tout va bien. Le surprenant parcours des personnages illustre une sorte d’itinéraire initiatique au bout duquel ils vont renaître et redonner du sens à leur vie : un monde où les trajectoires individuelles se trouveraient magnifiés par le drame et les accidents."
Les participants de cette soirée sont revenus longuement au cours du débat sur ce qu'avaient suscité en eux les images et les parcours des personnages aux corps accidenté ou à l'opposé, comme absents de leurs propres corps ou encore corps-machines aux sentiments enfouis. Ce film, marqué par des morts et de renaissances qui touchent à la fois les corps et les cœurs a été l'occasion de relectures dans lesquelles les parcours des spectateurs n'étaient pas absents.
Le cinéma pour prendre parole
A cause de leur force évocatrice et de leur charge émotionnelle, les films donnent assez spontanément envie de prendre la parole pour partager impressions ou réactions. Mais notre éducation, plus orienté vers les spéculations abstraites, ne nous à guère appris à parler de ce que nous ressentons et en particulier à partir des films. Et pourtant, il est facile de constater que prendre le temps d'un échange à la suite d'une projection est précieux pour évacuer un trop plein d'émotions ou dire ses accords ou désaccords. De tels échanges manifestent que nous sommes touchés par les images que nous voyons et qu'elles suscitent notre propre parole. Oser parler des chemins qu'elles ouvrent en nous permet à la fois de se situer et de révéler ce qui fait sens pour nous.
Lors de la soirée ciné-débat du Narthex, les paroles échangées dans le public ont fait progressivement écho aux chemins que le film avait ouverts chez les spectateurs. Là encore, dans ces approches progressives et parfois hésitantes, mais accueillies avec attention et bienveillance, s'est réalisé quelque chose de l'ordre d'un double dévoilement : dévoilement du film, enrichi par le regard et les paroles des différents spectateurs ; et naissance de paroles personnelles, habitées de la rencontre de ce film et d'une histoire qui demeure le secret de chaque spectateur.
Paul Dima