QUINZAINE 1998    -    Eduquer et transmettre

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TRANSMETTRE…

LES SAVOIRS, LES SAVOIR-EAIRE, LES SAVOIR-ÊTRE...

Par Marie-NoëlleGermanaz-Nordey



« Transmettre »

Faire passer quelque chose à quelqu'un; transporter ...On peut transmettre un objet, une lettre, son bonjour, une maladie, l'amour du théâtre. La transmission et la communication peuvent se comprendre comme simple circulation de signaux dans un réseau, mais aussi comme relation humaine de face à face..

C'est ce qui nous intéresse ici :une « rencontre » entre deux ou plusieurs personnes.

Il faut alors s'interroger sur : celui qui transmet, celui à qui il transmet ; mais

aussi qu'est-ce qu' il transmet pourquoi ? en vue de quoi ?

Celui qui transmet le fait-il parce que c'est sa «fonction » au sein de la société ?

Comment détient-il ce qu'il va présenter à l'autre ? L'a-t-il découvert ? Le lui a-t-on transmis ? Aime-t-il ce qu'il transmet ? Est-ce qu'il s'enrichit à transmettre ? Cet « autre », n'est-il qu'un autre interchangeable, ou cet « Autre », unique, qui me fait face, l'étranger et le prochain ?

«Savoir savoir-faire savoir-être »

Que semble indiquer l'ordre des expressions ?

Le savoir, qu'est-ce ? Des connaissances ? N'importe lesquelles, ou celles qui constituent le savoir officiel, celui qu'une culture érige en passage obligé de ses membres? Sorte de réserve, issue pour notre civilisation, des lumières de la "raison"

Passons au deuxième degré : celui du « savoir-faire ».

Nous sommes en plein dans une conception de l'homme de l'ère technologique qui se conduit rationnellement, utilise ses connaissances scientifiques dans une réalisation pratique, se fixe des objectifs, et se donne les moyens de les atteindre, son savoir est « efficace »... Ainsi se profile une image caricaturale de 1 »homme moderne »L'homme de l'antiquité, du moyen âge, disposait de savoir-faire, d'une habileté à produire, qui n' était pas nécessairement l'effet d'un savoir théorique préalable.

Et nous voici parvenus au troisième degré : le "savoir-être".Sans le savoir, sans le savoir-faire, que peut bien valoir ce pauvre « être tout nu » ? Presque rien, une ébauche, un bloc à peine dégrossi ?

Ou veut-on signifier que l'homme dans sa course vers le savoir théorique, puis sa maîtrise des éléments à travers son savoir-faire, pourrait ...être, sans plus savoir comment être, désorienté, dépassé, il croyait avoir construit un univers sécurisant, protecteur, à l'intérieur duquel il pouvait vivre, vivre avec les autres, et voilà, à penser, inventer, construire, peu à peu il s'aperçoit qu'il ne sait plus lui, comment « être », alors qu'il sait calculer les éclipses, prévoir le nombre de mariages, de suicides dans une certaine population, , calculer comment s'enrichir,, comment se refaire un visage sans ride...Il sait, trop ? pas assez ? Il ne sait pas être ? Il ne le sait plus ?

Est-ce que cela signifie qu'il ne sait pas s'intégrer dans le milieu social qui est le sien ? Dans la Cité qui est la sienne ? Il ne sait pas être le citoyen, de sa cité ? Il ne répond pas aux critères de l'homme membre de la cité moderne ? La cité, comme toute œuvre de culture ne peut se maintenir sans la transmission de ses conditions d'existence : connaissances, valeurs, normes, etc .


Mais est-ce uniquement pour que perdure cette cité que nous devons transmettre ? Ou aussi pour que les personnes embarquées dans ce «véhicule» qu'est la cité puissent y accomplir ce voyage qu'est « exister », exister avec l'Autre, exister ensemble ?

Ou pour que les êtres nés de cette terre qu'est la cité puissent y prendre racine, y recevoir la

lumière qui les fera grandir ?

Grandir... Transmettre pour que l'autre grandisse ? Mais quelle relation permet un tel acte ?


Suffit-il d'apporter, de dire ? L'autre qui écoute, s'il écoute, comment accueille-t-il ce que je cherche à lui transmettre ?

L'accueil par l'autre de ce que je prétends lui donner est-il séparable de l'accueil que j'ai, moi de l'Autre ? Dans « Transmettre », n'y aurait-il pas un « Je viens à toi » ? Comment venir à l'Autre ?

Est-ce dans la simple présence, dans la neutralité d'un individu, simple moment d'une « circulation », d'une communication du savoir ? Ou faut-il qu'il y ait « Amitié » ?

Ou alors faut-il dans cette relation de transmission demeurer dans une « neutralité affective » : «je te donne, sans que ce soit moi qui te donne, n'importe qui d'autre pourrait jouer mon rôle... C'est à toi, et ce n 'est que pas à toi que je donne, n"importe qui d"autre, là, serait ce « toi » auquel je donne. Donner, transmettre comme donner ?


Si, dans ma main, je tiens un « objet » que j'ai l'intention de transmettre, de donner à quelqu'un, il faut que je fasse un geste, un mouvement vers l'autre ; il faut que ma main s'ouvre pour présenter, offrir...Mais c'est moi qui ouvre la main, moi tout entier dans le geste de cette main...

Il faut aussi que ta main se saisisse de ce que j'offre, s'ouvrir pour se refermer sur la chose saisie...

Mais si ta main n'est qu'ouverture, passive, béante... et que j'y dépose ce « savoir », reçois-tu ? Ta main a-t-elle été ouverte de force, demeure-t-elle, contrainte, dans cette position d'ouverture morte qui reçoit sans jamais rien garder, car elle ne se referme pas avec joie sur ce que j'ai mis dans le creux de ta main ?

Et cette main ouverte, elle n'est jamais vide, elle est pleine., est-elle pleine d'une terre prête à recevoir la semence ? Ou cette main est-elle « encombrée » ? Je ne vois pas cet encombrement : j'ajoute cette « chose à transmettre», et je m'en vais, satisfait...Ai-je le droit alors de m'irriter de ta lassitude, de ta fatigue, et de ta maladresse, toi qui es si encombré que tu ne peux même plus retrouver ce dont tu as besoin... Je vois que tu es encombré : alors, comment, doucement ou violemment, vais-je te débarrasser de ce qui t'encombre? Comment allons-nous supporter ensemble la nudité de ta main, moment terrible où on ne sait plus, moment nécessaire où l'on découvre, accueille...



Transmettre des savoirs, des savoir-faire, mais est-ce que je sais donner, est-ce que je peux même donner ?

A qui vais-je donner, qui es-tu, toi ?

Que vas-tu faire de ce que je te donne, si je parviens à donner ?Que vas-tu en devenir ? Toi ?

Non, pas seulement toi, mais toi et moi, qu'allons-nous devenir, qu'allons-nous, à partir

de ce don, faire de ce monde où nous nous sommes rencontrés ?