La Quinzaine 2006 :

LE PROGRÈS A-T-IL DE L’AVENIR ?


le jeudi 18 nov à 20 h 30 :

Conférence de Jean-Pierre RIBAUT


"Quel développement pour quel progrès…

Repenser la croissance ? "



Jean-Pierre Ribaut est ancien chef de la Division de l'environnement au Conseil de l'Europe, président de la commission « Création et développement durable » et vice-président de l'antenne « Environnement et modes de vie » de Pax Christi-France et diacre permanent du diocèse de Bordeaux.

Introduction


L’homme a dès son origine, influencé, modifié son milieu de vie : par la hache et le feu il a détruit les forêts, puis, avec les armes à feu il a exterminé des centaines d’espèces d’animaux, surtout des oiseaux et des mammifères, cela tout spécialement dès le XIXème siècle. C’est ainsi, qu’en Amérique du Nord, la population de quelque 60 millions de bisons a été réduite en quelques décennies à 85 individus. En Europe, c’est l’ours, le lynx, le loup, et de nombreux rapaces qui ont été décimés, pour des raisons diverses, mais jamais justifiées !


Relevons qu’aujourd’hui, la chasse n’est plus guère responsable de la régression de la diversité biologique. Si cette dernière continue à diminuer, c’est essentiellement pour des raisons indirectes : destruction des habitats naturels et « empoisonnement » de ces mêmes milieux.


La situation est particulièrement dramatique en région tropicale, où grâce à la puissance d’intervention de l’homme, les forêts sont rasées à une vitesse dramatique. La dégradation des espèces halieutiques prend également une dimension alarmante, tant la pression des pêcheurs sur les bancs de poissons par exemple est grandissante, grâce à des technologies de localisation et de capture de plus en plus sophistiquées. Pour compenser la diminution des captures, on rétrécit les mailles des filets pour attraper des poissons qui ne sont pas encore reproduits ! Quelle course au suicide !


Etat des lieux


Peut-on procéder aujourd’hui à un état des lieux de notre planète ? Constatons que :


- 50 à 100 espèces animales et végétales disparaissent quotidiennement, il s’agit là surtout d’espèces des forêts tropicales, dont la majorité n’a pas encore été identifiée ! Si les savants ont à ce jour décrit 1 300 000 espèces animales et 400 000 végétales, il en existe très probablement 5 à 10 fois plus.


- La disparition des zones humides (marais, marécages…) qui non seulement sont  caractérisées par la plus forte productivité biologique mais jouent un rôle déterminant dans le cycle de l’eau, explique – en partie – l’acuité des périodes de sécheresse et certaines inondations, les zones humides jouant un rôle d’éponge libérant l’eau par temps sec et l’accumulant lors des pluies.


-  Les terres agricoles sont de plus en plus intoxiquées par les nombreux intrants utilisés pour augmenter les rendements : engrais et pesticides. Si certains produits sont naturellement éliminés ou décomposés, d’autres s’accumulent comme par exemple les métaux lourds, au point de rendre ces terres impropres à une exploitation agricole !


-  En région tropicale, la situation des terres arables est aggravée par la désertification, qui peut progresser dans certaines régions, de 10 km par an ! Cela surtout à cause de la déforestation en Afrique, par exemple, déforestation provoquée par la nécessité de bois pour cuire les aliments ou encore de mauvaises pratiques agricoles.


-  La qualité des eaux reste problématique en de nombreuses régions, malgré une prise de conscience de plus en plus aigüe ; et comme la consommation quantitative progresse, nous allons indiscutablement rencontrer des problème d’approvisionnement.


-  Les ressources non renouvelables, comme les hydrocarbures (pétrole, gaz naturel), ne peuvent indéfiniment couvrir nos besoins énergétiques. Certes, des nouveaux gisements sont régulièrement découverts, mais cela ne peut durer indéfiniment. Dans quelques décennies, une période de pénurie incontournable va se préciser ! Ce qui est encore plus grave, c’est que la consommation actuelle d’énergie est la cause principale de l’effet de serren à cause du gaz carbonique et d’autres gaz émis par la combustion. Cet effet de serre a des répercussions de plus en plus perceptibles sur les climats ; modification du régime des pluies, cyclones de plus en plus intenses, élévation régulière de la température moyenne de l’air avec des répercussion sur le cycle de reproduction de nombreuses espèces animales et végétales, élévation du niveau de la mer, catastrophes naturelles de plus en plus diversifiées.


La conclusion  de ce rapide survol de l’état des lieux est évident : nous ne pouvons continuer à exploiter les ressources naturelles comme nous le faisons actuellement. Un changement radical est indispensable, de nouvelles politiques de développement s’imposent d’urgence.


Que proposer ?


Les écologistes tirent la sonnette d’alarme depuis plus de 50 ans ! Il y a 120 ans le biologiste Forel annonçait que la lac Léman commençait à se polluer ! Personne ne l’a pris au sérieux ! Si l’on avait réagi dès les premiers symptômes le prix à payer eut été bien moins élevé qu’aujourd’hui, où, en dépit d’investissements antipollution considérables, la production de perches et autres corégones demeure relativement modeste et l’oxygénation de ce vaste réservoir d’eau douce problématique. Signalons en outre que suite à l’utilisation d’hormones en agriculture, certains poissons changent de sexe ! où allons-nous ?


A l’échelle mondiale, le premier avertissement sérieux a été lancé par le Club de Rome, qui, dans une approche globale des problèmes d’exploitation de la planète a publié un rapport « the limits to growth », traduit maladroitement, incorrectement en français par « halte à la croissance ». Les scientifiques éminents de ce club n’ont en effet jamais préconisé l’arrêt de la croissance, mais ils ont signalé que telle qu’elle était pratiquée la croissance ne pourrait se poursuivre sans compromettre gravement l’avenir.


Suite à ce rapport, les Nations Unies ont créé une Commission sur l’environnement et le développement présidée par l’ancien premier ministre norvégien Harlem Brundtland qui a débouché sur le concept de développement durable. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de promouvoir un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures de répondre aux leurs.


Mais de fait, le concept de développement durable est dévoyé comme l’est aussi le concept d’écologie ! Que ne qualifie-t-on pas aujourd’hui d’écologique ! alors que l’écologie est une science et rien qu’une science qui explique les relations entre les espèces animales et végétales avec leur milieu de vie.


Il en va de même du développement durable : chacun se l’approprie. Dans un souci de crédibilité, tout projet de développement doit aujourd’hui être qualifié de durable.


Développement durable et mondialisation


Un chef d’entreprise, auquel on demandait quelle était sa conception du développement durable, répondit sans hésiter : « faire durer mon entreprise ! donc ne pas avoir à licencier ! »


Réponse louable, qui respire le bon sens, mais qui n’a évidemment guère de rapport avec le « vrai » développement durable, tel que défini plus haut, qui est centré sur la préservation des ressources pour les générations futures ! L’approfondissement de ce concept aboutit à la caractériser par trois composantes :

-  Economique : oui, tout développement doit être viable économiquement parlant, donc financièrement ;

-  Ecologique : il ne peut avoir un impact écologique négatif, par exemple, contribuer à la pollution de l’eau ou à la disparition de telle ou telle espèce ; les écosystèmes doivent continuer à fonctionner normalement, les déchets neutralisés et/ou recyclés ;

-  Sociale : le développement durable doit déboucher sur une répartition juste et solidaire des bénéfices, tous les acteurs doivent en profiter.


Une 4ème dimension est de plus en plus en vogue c’est la dimension culturelle. Il devient chaque jour plus évident, que si la dimension économique est essentielle pour la vie (ou la survie) de l’homme, la dimension culturelle, spirituelle contribue également au bien-être, à l’équilibre de tout homme.


Dans ce contexte, la mondialisation, à savoir, la libéralisation, l’ouverture des marchés, des capitaux, de la libre circulation des personnes devrait permettre à l’ensemble des sociétés de la planète de vivre mieux, de tirer profit du développement de l’économie mondiale.


Hélas, il faut déchanter. Certes, certaines régions de la planète, comme le Sud-est asiatique, par exemple, ont effectivement bénéficié du « libéralisme tous azimuts» pour ne pas dire sauvage préconisé, quelques fois imposé par les Etats-Unis. Mais dans la majorité des pays, par exemple en Afrique, cette politique d’ouverture non contrôlée a accentué les inégalités sociales et souvent déstabilisé les économies locales et régionales . Un seul exemple : la disparition de dizaines de milliers de petits producteurs de poulets, concurrencés par les exportations subventionnées de bas morceaux provenant de l’Union européenne. Même les instances officielles, aussi bien de l’ONU qu’au niveau gouvernemental,  reconnaissent aujourd’hui l’ampleur de ces conséquences malheureuses.


Oui, dans trop de pays, dans trop de régions du monde la mondialisation telle qu’elle se déroule aujourd’hui rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres.


Or, relevons immédiatement, qu’il n’est question de stopper la mondialisation, le phénomène se développe depuis la route de la soie.


Christianisme et responsabilité chrétienne


Les chrétiens doivent-ils se sentir interpellés par l’exploitation des ressources naturelles ? L’appauvrissement de la diversité biologique ?


C’est loin d’être évident ! Certains écrits bibliques ne donnent-ils pas l’impression que l’homme peut disposer de la Création à sa guise, que cette dernière est vraiment à sa disposition ?


« Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer… » (Gn 1.28)


Ou encore


« Soyez la crainte et l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains »


Voilà qui parait effectivement surprenant ! Mais si nous avons recours aux versions linguistiques originales, et que nous replaçons ces paroles dans leur contexte socio-historique de l’époque et pratiquons l’exégèse, alors le sens de ces propos est très différent : prenons l’exemple du verbe dominer. Dans le langage biblique, dominer n’a rien à voir avec écraser ou réduire ; dominer, c’est exercer ses responsabilités. Le père de famille juive dominait la famille dans le sens qu’il se préoccupait de son bien-être : s’occupant du malade, résolvant tel conflit, trouvant du travail pour un tel…


Au vu de l’expression « Soyez féconds, emplissez la terre… » on a reproché (et on reproche encore aujourd’hui) aux chrétiens d’encourager le développement démographique ! Quelle erreur ! L’injonction à se reproduire est lancée par le prophète au Vème siècle avant Jésus-Christ lorsque le peuple juif est en exil à Babylone, qu’il est complètement découragé, convaincu que son Dieu l’a abandonné ! Il baisse les bras, et c’est dans ces circonstances dramatiques que le prophète intervient en encourageant les hébreux à ne pas désespérer, à reconquérir la confiance de Dieu par la conversion et en ne renonçant pas à avoir des enfants ! Nous voilà bien éloignés d’une interprétation superficielle et simpliste.


De fait la Bible mérite une lecture souvent beaucoup plus approfondie que nous le faisons d’habitude. Et c’est dans l’incompréhension et le caractère à première vue surprenant, voire inacceptable de certains textes, que nous trouvons, à mon avis, l’une des causes de rejet du christianisme.


Pour conclure ces réflexions bibliques, nous pouvons affirmer que, dans les rapports homme – Création, tous les textes convergent pour présenter l’homme comme lieu-tenant de la Création, c’est-à-dire en ayant la charge à la place de Dieu. La meilleure justification se trouvant en Genèse 2.15 :


« Dieu confia le Jardin d’Eden à l’homme pour qu’il le garde et le cultive » !


Hélas, nous connaissons la suite… et les chrétiens ont exploité, surexploité, défiguré la planète avec le même esprit de lucre que les autres sociétés humaines.


L’action de l’Eglise aujourd’hui


Un grand changement est intervenu – bien tardivement – en 1989, à l’occasion du 1er Rassemblement oecuménique européen de Bâle, où toutes les Eglises chrétiennes d’Europe ont officiellement procédé à un aggiornamento quant à leur engagement dans la société d’aujourd’hui, passant en revue tous les problèmes de société. Et, pour la première fois, elles ont officiellement reconnu leur responsabilité dans la gestion des ressources naturelles. Elles ont procédé à une sévère auto critique et édicté plusieurs recommandations d’action.


Les plus hauts responsables de nos Eglises se sont aussi engagés dans cette voie, tout spécialement le pape Jean-Paul II. Son  message de paix du 1er janvier 1990 « la Paix avec Dieu créateur, la Paix avec toute la création » peut être comparé à une merveilleuse encyclique sur le thème de l’écologie et de la responsabilité chrétienne !


La section française du mouvement international pour la paix PAX CHRISTI a réservé une suite concrète à ces conclusions en créant une Commission « Création et développement durable » qui a rapidement développé une grande activité, notamment en organisant les symposiums interculturels de Klingenthal. Mais pourquoi un mouvement se consacrant à la paix se préoccupe-t-il d’environnement se demanderont certains ? Simplement parce que le concept de paix ne peut se limiter à l’état de « non guerre », à l’absence de conflits. Vivre la paix, promouvoir la paix s’est vouloir créer un climat de sérénité, d’harmonie ; vivre la paix implique une dynamique. Cet environnement de paix se limite-t-il à la société humaine ? Non, comme l’a montré François d’Assise, le patron des écologistes ! François a montré que pour vivre pleinement la paix, il faut la vivre :

-  Avec son Dieu

- Avec soi-même

-  Avec ses frères et sœurs et

-  Avec la Création.


Pas question pour l’homme d’agresser le créé de Dieu, de souiller la nature, bref de dégrader la Création de Dieu. Au nom de notre baptême, nous avons tous à être des acteurs contribuant à « mener à terme la Création de Dieu, cette Création qui gémit encore dans les douleurs de l’enfantement », comme l’a écrit St Paul dans épître aux romains, chapitre 8.


Les Eglises protestantes ont été, dès l’origine de la prise de conscience de ces problèmes, très actives, notamment à l’échelle mondiale et européenne. Aujourd’ui elles agissent surtout grâce à leur « Réseau chrétien européen sur l’environnement » (ECEN). Ce dernier regroupe des Eglises, mouvements, instituts de Eglises protestantes, orthodoxes et  anglicanes de l’Europe. Du côté catholique, c’est le Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE) qui traite à l’échelle du continent ces questions et va apporter, avec la KEK, sa contribution au 3ème Rassemblement œcuménique européen de Sibiu, en septembre 2007.


En France, suite aux activités de Pax Christi, les évêques ont adopté en janvier 2000 une déclaration « Le respect de la Création » ; petit opuscule qui présente les responsabilités du chrétien envers la Création. Après ce premier pas, nos évêques ont institué, dans Pax Christi, une Antenne « Environnement et modes de vie », rattachée à leur Service national des questions familiales et sociales. Composée d’une douzaine d’écologistes, théologiens, industriels, agronomes… cette Antenne aborde les questions d’actualité sous l’angle chrétien afin d’agir avec et par les  évêques sur la mentalité des chrétiens. Sous son autorité, et de celle de son président, Mg Marc Stenger évêques de Troyes et président de Pax Christi, a été édité un important ouvrage de référence en la matière : « Planète-vie ; planète-mort – l’heure des choix ».


Des spécialistes y exposent les grands problèmes affectant aujourd’hui notre planète, dans le moment présent et le long terme, puis suit une approche théologique et éthique ; l’ouvrage s’achève avec une intéressante série d’exemples d’actions et de  réalisations concrètes, sans oublier des illustrations de célébrations de la Création.


Suite à la diffusion de ce livre, de nombreuses personnes nous ont interpellé, de Besançon à Angoulême, de Sées à Annecy : « Je suis chrétien et préoccupé par l’évolution de notre environnement ; que puis-je faire ? avec qui travailler ? » C’est à la suite de cet appel qu’a été créé le  « Réseau chrétien : paix, environnement et modes de vie ».


L’objectif est de développer, à travers le territoire français, un réseau de groupes de chrétiens se réunissant et agissant sur le plan local ou régional, pour développer la conscience écologique, s’attaquer à tel ou tel problème important de la commune ou de la région, préconisant un mode de vie plus respectueux de l’environnement.


Les groupes sont aussi appelés à coopérer aux campagnes lancées sur le plan national : « Vivre l’été autrement » ou pour les fêtes de fin d’année 2006 : « Vivre Noël autrement » (nouvelle version, par rapport à celle de 2005 !). Les groupes sont aussi appelés à fêter chaque automne la Création, dans le cadre d’une célébration, ou, mieux, une journée de réflexion et d’échanges.


Actuellement, une dizaine de groupes commencent à oeuvrer en France. Insistons sur le fait qu’ils ne se veulent pas repliés sur eux-mêmes, mais largement ouverts à la coopération avec d’autres mouvements, associations… Un bulletin d’information va permettre les échanges d’expériences, va permettre au réseau de vivre. Il disposera aussi d’un site Internet, bien sûr !


Avec un certain retard par rapport à l’Allemagne, la Suisse ou les pays nordiques, les chrétiens de France se sont enfin mis sérieusement en route.


Réjouissons-nous et espérons que, grâce à cette initiative du Narthex, quelques chrétiens du diocèse de Tarbes et Lourdes approfondiront la réflexion et l’engagement  des baptisés envers l’environnement !


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